Les
huiles
à peindre
Attardons nous au processus très particulier du séchage
des huiles, qui définit des catégories.
Typologie
Il faut distinguer deux types fondamentaux :
* les huiles saturées, qui sont
incapables de passer à l'état solide, telles les huiles minérales. Le fait
qu'elles soient saturées nous indique qu'elles ne se mêlent pas aux autre corps.
* les huiles insaturées, seules huiles
vraiment liantes. Ces huiles, dont certaines sont des "huiles à peindre", ne sèchent pas à
proprement parler, au sens où on l'entend pour les peintures aqueuses,
c'est-à-dire par évaporation. Tout en s'oxydant naturellement (processus de
siccativation), elles se solidifient en
emprisonnant les pigments.
L'insaturation d'un corps gras dépend du nombre de doubles liaisons qu'il
contient (lire absolument La saturation). Le
nombre de corps éthyléniques dans les molécules
concernées est déterminant.
En
principe, une huile monoinsaturée (une seule double liaison) est semi-siccative, une huile biinsaturée
(deux doubles liaisons) est
siccative et une huile triinsaturée (trois doubles liaisons) est extrêmement
siccative.
Lire tout
particulièrement L'indice d'iode in
La saturation, article comportant un tableau exprimant le degré d'insaturation
de différentes huiles.
D'autres facteurs agissent sur la
siccativité, comme la présence d'autres corps, la forme des molécules et la
position des doubles liaisons dans les chaînes moléculaires. Ces points sont
essentiels et caractérisent les propriétés de chaque huile.
De plus, toute huile naturelle est composée de proportions variées de corps
gras. Les acides les plus courants dans les esters sont
l'acide linoléique, très présent dans l'huile de
lin, ainsi que ses isomères dont
l'acide linolénique et par ailleurs,
l'acide oléique, nettement plus saturé. Nos huiles à peindre comportent ces corps et bien d'autres,
variant beaucoup
en fonction de leur provenance et de leur traitement. Leur siccativité ne peut
être qu'une donnée statistique et n'est pas la seule qui soit déterminante.
Il faut aussi mentionner l'importance du degré d'insaturation dans les
phénomènes de coloration. Lire à ce sujet le chapitre XII des Dialogues de
Dotapea, Le jaunissement.
Enfin et surtout, une huile qui siccative vite ne donne pas nécessairement un
film solide. Une huile à peindre se distingue par la conjugaison de plusieurs
facteurs, pas seulement par de bonnes caractéristiques de siccativité.
La
siccativation
Peintres, chimistes et fabricants d'huiles emploient une autre verbe que
"sécher" : siccativer. Il s'agit en fait d'une alliance
solidifiante entre d'une
part l'huile et d'autre part l'oxygène provenant
* de l'air ambiant
* de l'ajout dans la pâte de molécules de métaux oxydées bien spécifiques : plomb,
manganèse, cobalt et zirconium et quelques autres matières nommées siccatifs.
Ces substances - parmi d'autres - peuvent communiquer à l'huile, en
profondeur, leur propre charge d'oxygène, provocant la siccativation. Par ce
processus, les doubles liaisons se saturent.
Le phénomène naturel d'oxydation explique à lui seul le
gain de masse de toute oeuvre peinte à l'huile
lorsqu'elle a siccativé, phénomène inverse de ce qui se produit avec les peintures à l'eau. L'huile incorpore progressivement de l'oxygène alors que les
peintures aqueuses en perdent rapidement la majeure partie.
L'oxydation s'accompagne d'une réticulation.
Les macromolécules se relient, se propagent dans toutes les directions, de
manières diverses, formant un véritable filet à pigments. L'adjonction de résines ou autres substances influencera
ce développement tridimensionnel des macromolécules.
Plus d'informations : lire
passage in Les dialogues de
Dotapea, chap. I, A propos des liants.
Choix des huiles à peindre
En ce qui concerne le durcissement et la
soliditification qu'occasionnent la
siccativation,
l'huile de lin présente des caractéristiques exceptionnelles (penser
qu'avec cette huile, on fabrique des produits aussi résistants que
le linoléum ou le mastic de
vitrier).
L'huile de noix sèche un peu moins vite ainsi que
l'huile de carthame, l'huile d'oeillette,
l'huile de soja et
l'huile de tournesol qui sont
également présentes en petites quantités dans de nombreux produits en tubes. Les producteurs ont fait certains choix dont
les raisons - au demeurant souvent honorables - sont exposées dans l'article L'huile
de lin et discutés dans "Séparer ou non liants et pigments".
Des polémiques ont opposé au XXème siècle peintres et
fabricants au sujet du choix de l'huile dans les produits vendus sous forme de
tubes et quant à l'information du peintre "consommateur" au sujet de
ces choix. Certaines entreprises ont choisi la transparence, spécifiant le liant utilisé
sur chaque tube de peinture. Quelques unes sont revenues sur leur choix pour des
raisons obscures - très mauvaise stratégie commerciale qui instaure un malaise,
nous l'avons constaté
chez les acheteurs et les détaillants - tandis que d'autres, demeurées fidèles
à une ligne de conduite transparente et qualitative, ont acquis une excellente
réputation.
Un bon tube de peinture devrait porter mention de la
composition du liant notamment parce que celui-ci possède une siccativité
spécifique dont le peintre doit absolument tenir compte ! On n'imagine pas, par
exemple, une couleur plutôt "siccative" comme une Sienne naturelle liée à l'huile de lin posée au dessus d'une autre
couleur, moins siccative, comme un cadmium lié à l'huile d'oeillette : sans
adjonction de siccatif, l'oeillette ne sèchera jamais assez vite. Sauf respect d'un temps de séchage se
comptant en années ou en décennies, c'est l'accident pictural assuré, comme
toujours lorsqu'il y a un trop fort différentiel de siccativités !
On rétorquera qu'un fabricant honnête et intelligent n'utilisera l'oeillette
que pour un pigment ayant des propriétés siccatives. Le problème est qu'aucun
chimiste ne peut deviner quel mélange le peintre va mettre en oeuvre et ignore
donc quels liants vont être mis en présence de quels pigments...
Les gammes dont le liant varie beaucoup en fonction des couleurs présentent
donc certains risques.
Traitements
par la chaleur, le soleil
Les huiles à peindre, comme les huiles alimentaires, se cuisinent, se travaillent à la
chaleur. Celle-ci leur octroie une solidité supérieure, les Flamands le
savaient déjà. Une huile qui a cuit
(avec ou sans litharge) a
toujours un peu plus de liant. Une huile claircée au soleil est plus pure.
Lire l'article Cuisine des huiles.
Les recettes sont innombrables. Elles concernent principalement l'huile de
lin, mais aussi l'huile de noix.
Les huiles à peindre versus les huiles alimentaires et les huiles
minérales
Les huiles à peindre siccativent, mais les huiles alimentaires généralement
moins. De plus, elles ne donnent pas un film très solide, dit-on. Pour cette raison, celles-ci ne sont que
peu utilisées comme liants
purs et lorsqu'elles sont adjointes à d'autres huiles, c'est toujours par les
fabricants.
C'est un peu dommage. Il n'est pas du tout déconseillé de
réaliser de petits travaux "jetables" avec de l'huile de tournesol.
Certains réalisent même toutes leurs oeuvres de cette manière.
De toute manière, se servir d'huiles inhabituelles
permet d'apprendre à les connaître. A terme, le peintre
finit par déduire quels types d'usages il peut en faire conjointement aux huiles
à peindre classiques.
A l'opposé, les
huiles minérales entrant notamment dans la composition de carburants ne peuvent
faire office de liants. Elles sont colorées, sentent fort (elles sont souvent
toxiques), sont trop saturées, souvent sales et
bourrées d'impuretés. Seuls certains acides phtaliques dont la fabrication
est particulièrement contrôlée permettent de créer des liants. Il s'agit des
alkydes.
Toute huile
"de qualité artistique" ne doit pas être
utilisée comme liant principal de votre peinture
A cause
d'un tirant trop élevé, d'une tendance à rancir ou d'autres raisons, certaines huiles (huile de noix, standolie,
huile cuite, etc.) ne peuvent être utilisées que comme liants auxiliaires ou simples adjuvants.
Par ailleurs, en fonction du pigment, une huile devrait en principe être
"ajustée". Citons Gilbert Delcroix et Marc Havel (Phénomènes
physiques et peinture artistique, p. 39) : "Il existe en fait un
indice d'acide optimum de l'huile à employer avec chaque pigment et les
écarts avec cet optimum conditionnent les qualités de stabilité du mélange
liant-pigment."
Bien entendu, cet ajustement (de la quantité d'acides
libres dans l'huile) n'est guère à la portée du peintre, mais plutôt à celle
du fabricant.
Nettoyage,
diluants, solvants et dissolvants
Diluants à peindre : essences.
Voir absolument le Tableau des essences.
Diluants/solvants
pour le nettoyage des pinceaux : éviter la térébenthine dont les résines
feraient coller les poils des pinceaux. Le white spirit peut s'avérer trop
agressif. Préférer l'essence de pétrole
désaromatisée. Pour les cas désespérés, utiliser les produits
manufacturés pour le nettoyage des pinceaux très englués.
Mais attention : ces produits-là contiennent habituellement des hydrocarbures benzéniques
qui sont loin d'être anodins.
Lire
l'article consacré au nettoyage.
Dissolvant des
huiles à peindre : acétone,
alcool à brûler
(emploi facile), ammoniaque, hydrocarbures benzéniques
(produits dangereux, voire même extrêmement dangereux).
Voir Diluants,
solvants, dissolvants.
Dangerosité
des huiles à peindre
Une huile ne s'enflamme pas
aussi facilement qu'une essence (l'huile de lin, par exemple, bout à 387°C). Cependant, une fois en ignition, elle est
beaucoup plus difficile à éteindre.
Éviter de jeter de l'eau sur l'huile bouillante. Cela provoque des projections
susceptibles d'étendre rapidement l'incendie et de créer des lésions
profondes. Il vaut mieux essayer d'étouffer le feu à l'aide, si possible, d'un extincteur à
la "neige carbonique". Pourtant, selon des professionnels que nous avons
consultés à ce sujet, des commerces et lieux publics où sont stockées des
huiles ne sont pas pourvus d'extincteurs au CO2 car ceux-ci
contiendraient des éléments chimiques occasionnant certains effets pouvant
accroître le sentiment de panique (espérons que l'on puisse ajouter foi à ce
genre d'informations). Par ailleurs, les extincteurs "à
l'eau" contiendraient des éléments susceptibles, selon eux, d'être
efficaces également. Notre enquête est en cours et nous considérons par
prudence que
ces affirmations ne sont pas forcément à prendre au pied de la lettre. On
en restera pour le moment à l'affirmation initiale : pas d'eau sur l'huile
bouillante à cause des projections.
Au chapitre des mesures
préventives, deux remarques :
* il est toujours
bon, lorsque l'on est peintre ou plasticien, de savoir où se trouve le plus
proche extincteur et le plus proche téléphone en service.
* comprimés dans une poubelle, les chiffons
imprégnés d'huile auraient tendance à chauffer. L'oxydation (siccativation) de
l'huile produirait cet effet en présence de tissus. Il vaudrait mieux
étaler ceux-ci.
Ce phénomène est signalé par Kevin Mac
Cloud, auteur de référence, et des sources moins célèbres, mais nul parmi nous ne l'a
constaté.
Il semble que l'huile d'abrasin
(non considérée à ce jour comme huile à peindre mais surtout comme enduit de
finition pour le bois), dont la siccativité est particulièrement
remarquable, présente plus concrètement des dangers de cet ordre.
Lire
absolument l'article Séparer ou non liants et
pigments.
Retour
début de page