Quel que soit le siccatif
employé, le principal "danger pictural" de l'emploi de ce type de produits est l'accentuation des
différences de temps de siccativation entre les différentes couches.
La couche externe siccative beaucoup
trop vite, rendant beaucoup plus difficile la siccativation des couches moyennes
et profondes. En résultent toutes sortes d'accidents.
Il est donc conseillé d'utiliser nettement
moins d'agents siccatifs dans les couches externes.
Un exemple : l'erreur courante d'utiliser un médium au plomb pour réaliser des
glacis de finition au-dessus d'une peinture moins chargée de siccatif et encore
fraîche en profondeur.
Par ailleurs, l'excès de siccatifs ou la conjugaison d'agents
chimiques différents peut entraîner des altérations des couleurs à moyen
ou long terme.
La
litharge
Le premier agent siccatif pour la peinture à l'huile (quelle que soit
l'huile) a été le monoxyde de plomb jaune (PbO), dit "litharge"
(voir composition et étymologie dans le glossaire),
parfois "litharge d'or", très abusivement car ce produit jaunâtre n'a guère de
ressemblance avec le précieux métal. Cette coloration est sensible dans les
"huiles cuites" et
dans certains siccatifs de Courtrai.
Il s'agit d'une poudre assez lourde à adjoindre à
hauteur de 5% grand maximum du poids de l'huile, en pleine cuisson
si possible (bain-marie ou autre procédé). Le produit obtenu est nommé un peu
abusivement "huile cuite". Voir absolument
Cuisine
des huiles.
L'oxyde de plomb occasionne une siccativation progressive bien tempérée, en profondeur
comme en surface, qui est assez saine pour la peinture à l'huile mais par contre il est incompatible avec les couleurs au soufre qui sont fort
nombreuses (voir Compatibilités
et incompatibilités in Les pigments, les couleurs).
C'est un poison mortel à l'état concentré et
pulvérulent, donc potentiellement très dangereux.
A manier avec beaucoup de précautions, après apprentissage en atelier.
Conserver ce produit hors de portée des enfants et des animaux car le plomb
présente ce que l'on pourrait nommer un inconvénient particulièrement vicieux
: il a bon goût. N'hésitez pas à le stocker dans un
lieu fermant à clef.
Ne pas le jeter à la poubelle : il s'agit d'un puissant polluant. De
nombreuses déchetteries municipales
proposent un enlèvement gratuit à domicile.
Les Courtrai
Il existe essentiellement deux variétés principales de siccatifs de
Courtrai : une blanche, à base d'oxyde de plomb, et une brune, associant oxyde
de plomb et oxyde de manganèse.
Selon Xavier de Langlais, "le Courtrai"
(soit la variété originelle) correspond au Courtrai dit aujourd'hui "brun", qui
présente certains petits défauts. Voir ci-dessous.
Plus utilisée de nos jours, la variété dite "Courtrai blanc" est une litharge
(de plomb seulement) traitée, diluée dans l'essence mais quand
même assez toxique pour arborer la tête de mort. Elle apporte quelques
améliorations par rapport au produit original, une litharge
simplement diluée dans l'essence, et plus encore en comparaison avec les "huiles
cuites". Le Courtrai blanc est très peu coloré ; il n'est pas lui-même oléagineux.
Comme les autres variétés, il peut être employé à froid à hauteur de 1 à 5% en
fonction des nécessités et de la siccativité naturelle des pigments employés.
Le siccatif de Courtai, blanc (plomb) ou brun, est - dans les textes surtout - soumis à une réglementation
contraignante. A partir d'une certaine concentration de plomb impliquant
légalement la
présence sur le flacon du pictogramme ci-contre, le distributeur est censé, selon les termes de la
loi, entretenir un livre
d'apothicaire
similaire au carnet à souche du pharmacien. Il en va de même avec tous les
produits présentant une haute teneur en plomb. Certains magasins ont pris la
décision (peut-être assez sage, en fin de compte) de faire une impasse sur ces
substances mortellement toxiques. D'autres sont en parfaite infraction.
Constatant l'ampleur du problème, certains fabricants ont créé des
Courtrai nocifs mais non toxiques (question de dosage, probablement), autorisant ainsi la vente sans consignation
sur le livre d'apothicaire. Néanmoins, ils n'ont pas cru nécessaire de faire
figurer une information capitale : quel est le principe actif de ces produits,
et le taux de dilution ? Un "Courtrai blanc" contient à coup sûr du plomb, mais que dire,
par exemple, d'un
"Courtrai" sans épithète sans coloration jaune (non assimilable, donc
à la variété originelle) : contient-il aussi du manganèse, du
cobalt, du zinc, du zirconium ? Ce genre de produits existe.
Une chose est sûre : pour la sécurité de l'artiste (et
de ceux qui l'entourent, ainsi que des acquéreurs de ses travaux), celui-ci a intérêt à
être plus prudent que certains industriels et détaillants qui semblent parfois ignorer le
danger.
Siccatifs anciens de
l'huile
D'autres produits ont été employés très tôt :
*
la couperose blanche.
Réputée peu nocive mais aussi peu active, sa base est le sulfate
de zinc
(à distinguer du sulfure
de zinc, employé comme pigment blanc courant). Elle est assez mal connue. Les
fabricants de peinture semblent l'avoir complètement abandonnée. C'est un produit à
tester (merci de nous
faire parvenir toute information à ce sujet).
Contenant du soufre,
elle ne doit pas être mêlée aux produits comprenant du
plomb, notamment la litharge, les
Courtrai,
la plupart des médiums
siccatifs, la céruse
et certains pigments rares, si elle n'est pas bien
"lavée", c'est-à-dire si elle contient du soufre libre.
*
le noir animal,
dont le principe actif est l'osséine. Lire l'article
consacré à ce produit.
Ce produit a peut-être servi à préparer la "carta
tinta", support spécifiquement destiné au dessin à la pointe métallique.
Information non confirmée.
* le
carbonate de plomb ou céruse. Il a deux défauts
de taille : il est hautement toxique (lire l'article qui lui est consacré)
et il est blanc. On mentionne quand même un emploi ancien marginal que l'on
peut autant qualifier de siccatif que de chromatique.
* le sulfate de
plomb (SO4Pb) aurait été utilisé comme
siccatif, mais nous manquons d'informations à ce sujet. N'hésitez
pas à nous en fournir !
Nouveaux métaux
oxydés employés comme siccatifs
Aux XVIII et XIXème siècle, d'autres oxydes métalliques siccatifs ont été
découverts. Dans l'ensemble, il n'est pas exagéré d'avancer qu'ils sont trop
siccatifs : ils peuvent créer une pellicule sèche en surface, provoquant des
plissements et autres accidents. Ce sont :
*
l'oxyde de manganèse, un peu jaune, provocant une siccativation
assez véloce, supérieure à celle du plomb mais encore assez modérée pour un emploi
tempéré lorsqu'il est employé conjointement à l'oxyde de plomb (comme
dans le siccatif de Courtrai
brun). Il ne faut cependant pas se leurrer quant à la capacité de cette combinaison
de se transformer en association de malfaiteurs allant jusqu'à puiser
l'oxygène dans les pigments eux-mêmes dès que l'huile de lin s'est
solidifiée ! La grande valse des couleurs est alors assurée...
Le manganèse aurait tendance à rendre la pâte légèrement
friable. Cette hypothèse n'est pas recoupée par l'expérience de notre
côté, mais elle devrait être prise au sérieux selon nous (merci
de nous communiquer toute information expérimentale à ce sujet).
Certains pigments, les
terres de Sienne
et les terres d'ombre ou encore,
évidemment, les couleurs au manganèse
véritable, contiennent de l'oxyde de manganèse et se comportent effectivement d'une
manière bien particulière, nécessitant une adaptation très réfléchie
de la part du peintre.
*
l'oxyde de
cobalt, pratiquement inutilisable tant son pouvoir siccativant
est puissant, il pourrait cependant être présent dans certains produits
destinés à la peinture décorative. Noter que
les couleurs au cobalt -
contenant de l'oxyde de cobalt - ont aussi un pouvoir siccatif.
Voir Famille des cobalts.
*
l'oxyde ou plutôt le dioxyde de
zirconium (zircone,
ZrO2), encore mal connu des peintres (merci de
nous
faire parvenir toute information à son sujet).
* d'autres oxydes
métalliques.
Dangerosité
Manganèse, cobalt et zirconium et autres métaux ne présentent pas une
dangerosité aussi notoire que celle du plomb. Ils sont parfois adjoints à des
encres oléagineuses utilisées dans l'emballage alimentaire, en très faibles
quantités parce que certains ont un goût. Mais ils ne sont quand même pas
anodins.
Le cobalt, en particulier, peut tuer de différentes manières et occasionner différentes
sortes de dysfonctionnements majeurs (notamment thyroïdiens). Il pourrait être
cancérigène. On parle là de ses différents oxydes.
Une grande quantité de troubles peuvent être provoqués par différents oxydes
de manganèse. Devenus chroniques, ils donnent ce
que l'on nomme le manganisme. Lire passage
in Le bleu MnYIn.
Le
zirconium sous sa forme pure est explosif en présence d'air et hautement
réactif à de nombreux éléments et molécules, cependant il en va tout autrement
de son dioxyde que le Reptox classe parmi les
produits stables. Les mises en garde ne concernent que de possibles réactions
allergiques surtout cutanées (donc éviter tout contact ou inhalation) et -
toujours selon cette nomenclature toxicologique - les faibles quantités peuvent
être jetées sans traitement particulier.
Un bon point donc pour le zircone.
Aujourd'hui, beaucoup de médiums
(médiums siccatifs) et
la quasi totalité des siccatifs pour la peinture à l'huile ne contiennent
du plomb qu'à faible dose comme agent siccativant. La dilution du plomb dans certains
d'entre eux (le Harlem par exemple) est
suffisamment importante pour que ces produits soient classés parmi les nocifs et
non les toxiques. Cela ne nous empêche pas de conseiller une grande prudence
dans la manipulation de ces substances.
Heureusement, les fabricants semblent se tourner progressivement vers d'autres solutions
techniques que les siccatifs métalliques.
Pourquoi
des siccatifs ?
Étant donné
- le risque qu'ils font peser sur la santé et
sur l'environnement,
- le grand nombre d'accidents sur les tableaux, qui ont
eu lieu à cause d'emplois inadéquats de siccatifs,
il y a lieu, sans aucun
doute, pour le peintre, de s'interroger quant au bien-fondé de l'usage de ces
produits.
L'huile de lin est déjà la plus siccative des huiles. Cuite sans litharge
et claircée, clarifiée, elle l'est un petit peu plus (voir Cuisine
des huiles). L'adjonction de siccatifs à une telle huile n'est donc pas forcément
nécessaire. La méthode de travail (en série ou non, séances étalées sur un
ou sur plusieurs jours, travail gras ou maigre, procédé à l'huile ou non) peut être remise en question lorsque le peintre se trouve en face des
spécificités de l'huile en termes de délais à respecter entre les couches :
faut-il
plomber la peinture ou changer de procédé ?
La piste des
émulsions
Pour qui recherche la siccativité, les
émulsions
(méthylcellulosiques,
à l'oeuf, etc., voire même
des alkydes dans certains cas) constituent des pistes
au moins aussi intéressantes
que les oxydes métalliques
siccatifs.
Il ne s'agit d'ailleurs pas à proprement parler de siccatifs. Ces produits
sont eux-mêmes des liants ayant deux particularités :
ils sont aqueux, donc sèchent vite, et ils peuvent se mêler intimement à
l'huile. Ils n'apportent pas d'oxygène à l'huile, mais ils diminuent la
quantité d'huile, donc la durée globale du séchage !
Évidemment, ces émulsions ont chacune leurs spécificités. Elles ne
peuvent pas être utilisées comme les siccatifs métalliques car elles
apportent quelque chose de plus "marqué" dans la pâte : une
onctuosité, une aptitude ou une inaptitude à l'empâtement, un satiné
délicat, une matité, etc. Elles nécessitent souvent que l'on s'attache à
expérimenter différentes possibilités pour élaborer une sorte de
"méthode personnelle", démarche courante chez les peintres
atteignant différents caps de leur évolution, à des moments variant en
fonction des personnalités. Les fabricants se sont d'ailleurs posé les mêmes
questions et sont parfois parvenus à y apporter des réponses très valables.
Nombre de médiums sans plomb du commerce contiennent de la chaux, de la cire,
etc.
On peut employer les émulsions comme liants ou comme médiums. Lire
absolument l'article sur les émulsions.
Poids
de la tradition, efficacité réelle et santé publique
Pourquoi recourir au procédé à l'huile si l'on souhaite des temps de
séchage courts ? Pourquoi ajouter une litharge dans un jus très dilué, un
glacis ? Est-il vraiment nécessaire de se conformer à des traditions souvent déformées ou obsolètes et aussi vaines que dangereuses.
Par
exemple, en peinture décorative de type patines murales, certains continuent à prôner l'adjonction de litharge, ce qui n'est
pas seulement inutile, mais GRAVE
au point de vue de la santé publique.
Tout cela ne doit pas masquer une constatation purement technique : l'emploi
maîtrisé de
siccatifs métalliques peut être dans certains cas d'un précieux secours (par
exemple, figer rapidement dans la masse certaines charges
incolores qui ont tendance à "tomber", équilibrer les temps de siccativation lorsque on emploie
localement des pigments naturellement siccatifs, compenser le manque de
siccativité de certaines huiles, etc.). Il peut par contre - c'est vraiment
très courant - être funeste pour les tableaux
s'il ne s'agit que de rattraper un retard ou de compenser des erreurs techniques
dans l'ignorance ou au mépris des considérations
techniques que nous venons d'exposer. De plus, les siccatifs métalliques peuvent être funestes au sens
propre : il s'agit de poisons et de polluants, mieux vaut ne pas l'oublier.
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