Diluants, solvants et dissolvants
Pour
comprendre les concepts de dilution, solution et dissolution, il faut tailler
son chemin dans la broussaille des sens courants des mots qui les désignent.
Il règne une certaine confusion
sémantique. Le terme de "peinture à solvants", par exemple, entretient cette
confusion. Il désigne des procédés dont le solvant est inhabituel, généralement
plus agressif que de coutume. En réalité toutes les peintures artistiques ont
un solvant et l'eau, par exemple, est le solvant des peintures à l'eau que
personne n'appelle "peintures à solvants".
L'étymologie peut nous éclairer
sur le sens de ces mots. Commençons par
solvere, en latin, qui signifie
délier. Dé-lier, comme di-luer, ce n'est pas forcément
détruire des molécules, c'est surtout les
écarter les unes des autres en les plaçant dans un corps plus liquide.
C'est juste le contraire de souder, solidare
en latin.
Le diluant est simplement un liquide qui sert à délayer, étendre une
substance souvent déjà plus ou moins liquide elle-même. Dans le
cas de la peinture, il est appauvrissant dans le sens où,
occupant de l'espace, il
éloigne les molécules du liant et du pigment. Il ne les détruit pas - ce n'est pas sa vocation - mais modifie leur répartition topographique.
Ce pourquoi il est souvent nécessaire de recourir à un "médium à peindre" chargé
de résines et/ou de liant, qui va en quelque sorte enrichir la
peinture dans les zones où elle aurait été appauvrie par une simple dilution. Dans le cas
exceptionnel de l'aquarelle, les propriétés particulières de la
gomme arabique permettent d'éviter cette
opération.
Autre propriété des diluants : dans le cas des peintures réversibles,
ils peuvent remettre une peinture sèche à l'état liquide.
De fait, un diluant est forcément un solvant, mais il se définit davantage
par son usage premier : délier les composants de la pâte, c'est-à-dire
l'étendre, ou bien délier les composants solides d'une peinture réversible - là
où le dissolvant - qui dessoude, terme plus fort - est généralement considéré
comme plus destructeur.
Les termes "solvants" et "dissolvants" réfèrent directement, eux, au concept de
solution.
Solution : Liquide ou demi liquide
homogène sans partitions (ex. : solution
colloïdale). Une solution se précipite lorsqu'un corps
solide y prend naissance. Ce phénomène peut survenir accidentellement (ex.:
l'utilisation d'eau pour la gomme laque de Coromandel produit un précipité
brutal particulièrement encombrant et tenace), mais dans la plupart des cas il
advient... lors du séchage, quand la peinture devient solide, tout simplement.
C'est en cela que le solvant finit toujours par souder la
peinture. C'est
(peut-être) ce qui distingue le solvant du diluant : il s'agit de la même chose, mais vue
sous deux angles différents. Le terme de diluant semble
mieux convenir lorsque l'on veut mettre l'accent sur le fait "d'étendre" une
peinture tandis que le terme de solvant est destiné à souligner le fait que
cette dilution sera suivie d'une solidification.
Signalons aussi le cas des sels mis en solution. Il est abordé dans un
passage du chapitre III des
Dialogues de Dotapea et dans un autre
passage du chapitre
XVII, où l'on parle d'une étonnante "barrière d'eau".
Une solution peut être plus ou moins "organisée" (c'est pourquoi
on obtient assez souvent des "demi-liquides") : cela va de la colle de peau -
très organisée, à base de cellules fibreuses - à la
suspension de quelques pigments et de quelques molécules de liant nageant dans
un grand verre rempli d'eau (dispersion).
La conservation - et souvent la qualité -
d'une peinture ou d'une colle en solution est le fait des solvants et pas
uniquement des corps liants. La sensibilité de certains solvants à différents
facteurs d'évaporation comme par exemple la température peut être déterminante
pour la bonne tenue du corps solide final (voir exemple in
La chaux).
Dissolution : Décomposition d'un agrégat, d'un
organisme par la
séparation des éléments constituants. Le corps concerné (solide, liquide
voire même gazeux)
passe généralement en solution sous forme altérée (exemple : le white spirit
fait grisailler la peinture à l'huile) ou est totalement
décomposé et s'évapore avec le dissolvant sous forme d'aérosols (effet de
l'ammoniac sur la peinture à l'huile). Dans d'autre cas, la structure du
produit est conservée. Les peintures réversibles
peuvent être dissoutes à l'aide de leur solvant habituel sans être désagrégées.
Exemple : la gouache avec l'eau. Remarquer que dans ce type de cas, le solvant
joue le rôle de dissolvant et que le terme "dissolution", sans être incorrect,
est moins adapté que "remise en solution" ou même "dilution".
L'ambre nous fournit un autre exemple, à l'inverse de la gouache et de
l'eau. Dans son cas, les dissolvants sont réputés trop destructeurs (information
à relativiser). Lire
article.
Le verbe
dissoudre signifie littéralement dessouder et effectivement c'est tout ce qu'il
faut comprendre dans ce terme. Comme le terme "solution" peut désigner des substances
plus ou moins liquides ayant des degrés
variés d'organisation, la dissolution réfère à des degrés variés de
désorganisation car la "séparation des éléments constituants"
peut être minimale (simple mise en solution) ou brutale (modifications profondes à l'échelle
intramoléculaire).
Un passage du livre "Phénomènes physiques et peinture artistique" de
Gilbert Delcroix et Marc Havel (Réf.) peut
donner un éclairage sur l'une des manières dont les scientifiques conçoivent ces
questions. Le lexique est un peu différent et on devine que sa vocation n'est
pas la même. Il s'agit ici clairement de définir des frontières. Les deux
auteurs évoquent le cas de l'eau mise en présence de matières solides. "L'eau
par son caractère polaire détruit
les liens électrostatiques entre les atomes et les molécules du corps à
dissoudre et les remplace par de nouveaux liens avec ses propres molécules et
conduit à une nouvelle structure. C'est le phénomène de solvatation
[voir lien]. Si ce
phénomène est complet, c'est une dissolution."
Pourtant, que nous dit le dictionnaire au sujet de la solvatation ? Ceci : "Proche
association entre les molécules du solvant d'une solution et une molécule ou un
ion du soluté, ou bien avec une particule colloïdale". Que signifie "proche
association" ? Par ailleurs, qu'est-ce qu'une "solvatation complète" ? La
recherche de frontières nettes et concrètes entre ces différents phénomènes est
évidemment compréhensible et nécessaire, mais le résultat semble bien ne pas
échapper lui-même à un certain flou.
Dans différents cas, les termes de diluants, solvant et de dissolvants concernent
très sensiblement les mêmes
phénomènes vus sous des angles différents. Il s'agit souvent des mêmes produits
: le solvant et le diluant maintiennent une peinture en solution, mais
avant cela,
il doivent parfois commencer par dissoudre, être dissolvant.
Par exemple, il est possible de
diluer la peinture à l'huile fraîche avec du white spirit alors que le même produit permet de dissoudre des taches
déjà pratiquement sèches. De même, l'eau pourra "dessouder" une gouache sèche,
mais elle lui permettra ensuite de se ressouder pratiquement sans altération à
l'évaporation.
Ces substances peuvent donc avoir plusieurs facettes et leurs propriétés sont
moins décrites par des faits rigoureusement scientifiques que par des propriétés
purement
lexicales. Celles-ci, cependant, faisant référence à des concepts élémentaires comme
"souder" ou "dessouder", sont d'une grande efficacité pour la compréhension des
phénomènes :
* ces substances sont dissolvantes quand elles désorganisent une matière qu'elles
"dessoudent". Cette opération,
comme nous le disions, peut parfois être un passage obligé pour une mise
en solution. Mais dans le langage courant, le terme de dissolvant s'applique
davantage, ce qui n'est pas illogique, à des produits que nous employons pour leurs
facultés de désorganiser profondément une matière (nettoyants)
* elles sont solvantes (elles soudent) quand
elles maintiennent la matière à l'état liquide ou avoisinant, en
état équilibré de solution, dans l'attente d'une nouvelle solidification
(précipité)
* elles sont diluantes dans le sens où, partant aussi bien d'un solide que
d'un liquide, voire d'un gaz, elles accroissent l'éloignement entre les éléments
constitutifs d'une peinture, d'une colle ou d'autres produits.
Il faut ajouter pour finir qu'une substance diluante pour une peinture
donnée peut
constituer un violent dissolvant pour une autre.
Lire la section des Diluants et dissolvants.
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