Agents et résidus
Un point cependant fait tache dans cet univers :
que devient le matériau moléculaire désassemblé et
de quoi s'agit-il ? En 2006, avant même que l'Afsset s'attaque au
dossier, une journaliste de Die Welt, Saskia Blank, publie un
remarquable article qui pose cette question,
relayant les propos de Michael Vergöhl (porte-parole de l'Alliance
Franhaufer pour la photocatalyse, groupe de recherche à capitaux privés)
et Detlef Bahnemann (dir. du groupe Photocatalyse et nanotechnologie de
l'Institut pour les technologies chimiques de l'université de Hanovre).
Article en allemand,
en français (traduction automatique).
Condensé de ces questionnements : attention à ce que la réaction va
enchaîner dans sa totalité ; puis-je exclure la possibilité que des
substances indésirables soient produites ; la diversité des polluants
est plus grande dans l'univers ouvert qu'en laboratoire ; on dépollue
effectivement mais que donneront les réactions secondaires ?
Ainsi, alors que l'Afsset fait le choix possiblement contestable
pour son rapport 2010 (au demeurant réellement intéressant et
instructif) de limiter son analyse à la dangerosité éventuelle des
nanostructures de dioxyde de titane - et même exclusivement de leur
absorption par voie respiratoire, cf. p. 80 - et non des substances qu'elles
produisent, Bahnemann et Vergöhl qui ne sont pas des "contestataires
anti-nano" mais des professionnels faisant partie du processus de
recherche et développement de ces technologies, pointaient quatre ans
plus tôt l'important enjeu de la maîtrise des matériaux engendrés.
Pourtant ce n'est pas rien : les "agents et résidus" seraient
(parmi tant d'autres) du
dioxygène et des hydroxyles actifs, mais aussi, au-delà, de l'acide nitrique, de l'acide sulfurique,
une vaste faune de molécules qui n'attendent qu'à être oxydées et qui
inclut des composés organiques, éventuellement vivants puisqu'il est
clairement question dans certaines applications de dégrader des
membranes cellulaires voire de pénétrer dans la cellule pour la
décomposer...
A ce sujet, lire un blog remarquablement documenté
-
lien.
Sans exagération, on peut noter que le système est puissant et l'on
saisit bien la légitimité des craintes de Bahneman et Vergöhl devant le risque de
transformer l'environnement de nos murs en laboratoires sans chimistes
où toutes sortes de combinaisons se testeraient sans nous demander notre
avis.
Un point rassurant est précisément que les scientifiques qui travaillent
sur le sujet sont parfaitement conscients de ces problématiques et sont
prêts à les évoquer publiquement.
Au-delà, ce n'est pas un mystère : les métamatériaux, l'ensemble des
productions nanotechnologiques, ne peuvent être évalués comme des
molécules individuelles notamment pour des raisons de formes, mais
aussi, on le voit, d'effets démultipliés, aux frontières du prévisible.
Il ne s'agit pas d'alarmer inutilement mais de pointer un sérieux
travail dont nous ne pouvons faire l'économie. La difficulté de cette
tâche est encore accrue par le contexte actuel de relatif rejet des
nanotechnologies qui influe directement sur les possibilités de
communication
(1).
Physique-chimie du
phénomène
L'effet Honda-Fujishima, premier jalon de
ces recherches, est d'un élégante simplicité : on plonge dans un bain
d'eau un peu de dioxyde de titane (TiO2) d'un côté et un
morceau de platine de l'autre, puis on éclaire. A peu près comme dans la
classique expérience montrée aux collégiens, une électrolyse se produit
mais cette fois sans apport énergétique autre que la lumière. L'eau se dissocie en
hydrogène (H2 côté platine) et oxygène (O2 côté
titane).
C'est une forme de photocatalyse. Une
catalyse dans la mesure où les éléments
opérant dans l'expérience (anode et cathode) restent inchangés. Ce
processus peut être répété indéfiniment. Il a d'ailleurs été l'objet de
tentatives de production d'électricité par l'énergie solaire, mais n'a
pas tenu ses promesses dans ce secteur. Photonique parce que c'est la
lumière qui fournit l'énergie nécessaire à la formation d'un "courant".
Notons que TiO2 est en théorie le
blanc de titane des
peintres. En théorie seulement : nous y reviendrons (lien),
mais il est important de pointer que l'expérience de Honda-Fujishima a
de fortes chances de ne pas fonctionner avec du pigment destiné à la
peinture.
Plus tard, le pouvoir oxydant - en
fait oxydoréducteur - du
TiO2 a été démontré et utilisé, notamment en 1972 avec
Toshyia Watanabe pour éradiquer, dit-on, les bactéries dans une salle
d'opérations - déjà -, puis pour fabriquer du verre autonettoyant. Le
dioxyde de titane donne des surfaces polaires
qui ont des
affinités avec les autres substances polaires
telles que l'eau. Sa surface (même pour un film d'épaisseur nanométrique
comme c'est le cas pour les vitres autonettoyantes) attire l'eau et chasse ce que l'on nomme la crasse,
à savoir des graisses. Il a cependant besoin d'un apport énergétique
pour cela et cet apport est toujours de la lumière, ou selon les cas des UV
ou de l'infrarouge.
Que signifie "le TiO2 est oxydoréducteur" ? Ceci :
1) les photons qui ont l'énergie nécessaire lui arrachent des électrons.
Ceux-ci se promènent alors librement en surface, dans ce que l'on nomme
la "bande de conduction". Excités, ils sont dans un état propice à la
réduction. Les électrons sont
prêts à être donnés à d'autres corps, en général petits et "actifs", comme O2
ou .OH, qui vont réagir à leur tour avec d'autres composés que l'on veut
"attaquer".
2) ces électrons arrachés laissent des "trous" - c'est le terme consacré
- dans la couche inférieure, dite "bande de
valence" - la dernière couche électronique véritablement propre à
l'atome - qui se trouve ainsi en situation d'oxydation. Elle est
localement prête à accueillir des électrons, éventuellement ceux-là même
qu'elle vient de perdre. Avec ces "trous" et ces électrons libres, voilà comment, comme dit
plus haut, on se trouve en présence d'un corps localement positif et
localement négatif, c'est-à-dire d'un corps
polaire.
Le coeur du sujet n'est pas véritablement la photocatalyse que l'on
connaît depuis longtemps, mais l'échelle à laquelle on opère ici.
La taille
Faisons un court détour minéralogique. Le TiO2 existe sous
trois formes cristallines naturelles :
* le rutile (très
classiquement utilisé pour fabriquer le blanc de titane)
* l'anatase (employé pour
les nano-ciments dont nous parlons)
* la brookite.
En 1964, on s'aperçoit que l'anatase oxyde les composés organiques plus
facilement que les deux autres variétés. Plus tard, on découvre que
cette particularité est liée à la taille des structures.
La raison est simple (mais cette information n'est pas confirmée) : la
taille fait la distance et la distance détermine l'énergie de transition
de bande nécessaire pour faire passer un électron de la bande basse
(valence) à la bande haute (conduction). En découlent trois faits :
* l'énergie lumineuse (donc la longueur
d'onde, la couleur) nécessaire pour déloger les électrons de la bande de
valence varie en fonction de ladite taille du TiO2,
* plus l'espace est petit, plus les
électrons libres ont tendance à se reloger rapidement dans les "trous"
qu'ils viennent de quitter. On a donc moins d'électrons libres en
surface et moins d'interactions avec d'autres corps.
* cependant, sans toucher à la bande de
valence, une énergie plus importante de la bande de conduction favorise
les réactions d'oxydoréduction.
Les points flous...
Selon le rapport de l'Afsset, les "particules" (nous dirons plutôt les
grains pour ne pas gêner la compréhension bien qu'il ne s'agisse que
d'un flou moins flou) sont de l'ordre de 15nm mais il évoque d'autres
études où les grains (anatase et rutile) mesurent de 15 à 60nm. A titre
de comparaison, selon une autre source un rutile moyen se situerait vers
les 35nm, un anatase à 11 et une brookite entre les deux.
De quoi parle-t-on exactement sous le vocable confus de "particules" ?
De paramètres de mailles, de groupes d'espace cristallins, de
cristallites... Une certaine incertitude règne dans les documentations
mais rappelons qu'un atome moyen (par exemple le carbone) mesure environ
0,1nm, une molécule moyenne peut mesurer par exemple 2,5nm, l'espace
entre les atomes et entre les molécules est plus ou moins, lui aussi, de
0,1nm (voir Chap. XX des Dialogues de
Dotapea).
Donc ces grains contiennent forcément plusieurs molécules. Dès lors, il
ne suffit pas forcément de parler de tailles mais aussi
d'organisation. Fausse piste peut-être, mais voyons cela.
Alors que les grains du pigment blanc de titane se mesurent en microns,
on parle de corps plus petits, de formes parfois organisées selon le
rapport de l'Afsset puisque "enrobées
et fonctionnalisées ou non" en pp. 86 et 97 ("coquille de silice,
d'alumine etc."). Mais ceci concerne une utilisation
différente, dans les crèmes
solaires, un tout autre domaine où l'on cherche précisément à éviter la
photocatalyse.
D'autres manipulations sont-elles effectuées sur le TiO2 des
ciments ?
... et les points nets
Il est bien possible que non, même si l'on ne peut donner aucune
garantie. Comme le souligne l'auteur de l'excellent
blog mentionné ci-dessus (lien),
"(...) la diminution du diamètre des particules conduit à une
augmentation de la proportion d'atomes présents en surface (5 % des
atomes d'une particule de 30 nm sont en surface, contre 20 % pour une
particule de 10 nm et 50 % pour une particule de 3 nm).
Une masse donnée de nanomatériaux sous forme de nanoparticules sera donc
plus réactive que la même masse de nanomatériaux constituée de
particules de plus grande dimension."
En ajoutant cela à ce qui a été écrit ci-dessus sur l'énergie des
bandes, on l'a compris : la dimension à elle seule suffit à tout changer.
De plus, en
poussant l'enquête un peu plus loin, on s'aperçoit que le très anodin
pigment blanc de titane (200µm environ) est lui-même enrobé de
silice, d'alumine,
de zircone (ZrO2) ou d'oxyde de zinc (ZnO) à l'aide de procédés maîtrisés de longue
date. Donc le traitement des versions crèmes solaires n'a rien de
véritablement exceptionnel. Il n'y a pas lieu de
présupposer que des
manipulations comparables soient spécifiquement réservées à certaines
versions "nanos" là où les écarts de taille modifieraient bien
davantage
les comportements physico-chimiques.
Il en va de même du point de vue toxicologique et environnemental : le
pigment blanc de titane est d'une innocuité confirmée alors que l'Afsset
donne sur les nano-TiO2 un compte-rendu qui, sans donner de
conclusion univoque, laisse vraiment beaucoup de place à des questionnements motivés,
parfois de premier plan. D'analyses s'avérant contradictoires en manques
d'informations clairement annoncés, l'agence a bien du mal à se
positionner. Mais elle trouve le courage de le dire.
Autres points
L'Afsset précise que malgré la petite taille des "grains", la présence
de ce titane dans le béton - où l'on trouve pourtant des grains de sable
ou des graviers proportionnellement énormes - donne à celui-ci une
microstructure différente.
Pour terminer cet article, on précisera que les produits concernés sont
les ciments, bétons, coulis, briques, revêtements de surfaces et
peintures Btp. Bien entendu, l'objectif de l'industriel et/ou de
l'utilisateur est de concentrer le plus possible de titane à la surface
car sans lumière, il ne produit aucun effet. Or, sans être extrêmement
cher, même non traité (donc à l'état de vulgaire blanc de titane) il
représente quand même un coût non négligeable, comme le savent tous les
peintres.
______
(1) S'ajoute en effet, en France
notamment, la
dimension politico-idéologique qui a pris une tournure disproportionnée
et radicale. Les
"théoriciens du complot" ont profité des flous et embûches de cette
terra incognita naissante pour confisquer en 2009-2010 (par
des perturbations et intimidations menant à huit annulations) un
ensemble de
débats publics sur les nanotechnologies qui aurait précisément permis aux journalistes de relayer
de premières informations directes auprès des citoyens sans la
médiations d'agences mandatées par l'Etat.
In fine, il nous reste donc, à cause de l'action "luddiste"
(lien Google externe), à lire la presse allemande et les communiqués officiels
français pour essayer d'élaborer un matériau informatif autorisant un
début de libre réflexion. Ce que ces activistes font va au-delà de ce
que seraient les espérances du prétendu "état totalitaire" qu'ils
entendent dénoncer par un acte... éminemment totalitaire, la
confiscation d'un débat public.
(s) Emmanuel LUC, éditeur
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