AP :
Merci pour votre site, cela fait plusieurs années que je le consulte
au fur et à mesure de mes expérimentations de peintre... C'est
formidable de pouvoir consulter une base de donnée aussi riche.
Dtp : Merci
à vous.
AP :
Ma question: je peins à l'huile (couleurs en tubes, marques L. et R.)
sur toile préparée. Je recherche depuis longtemps à composer un medium
permettant d'obtenir des couleurs les plus mates possible, et de
combiner jus consistants (liquides mais pas trop transparents) et
empâtements modérés (2 mm grand maximum).
J'ai récemment concocté un medium (recette trouvée sur le site de Kama
Pigments), en voici la composition :
- 4 volumes de
cire d'abeille
- 1 vol de vernis dammar (que je prépare moi-même à 40 % de dilution)
- 1 volume de standolie
- 12 volumes d'essence de térébenthine
Cela donne un beurre à peindre très
onctueux, très mat, qui possède la propriété très importante pour moi
de figer rapidement.
Cependant vous mettez très en garde sur le dosage de cire, que
pensez-vous de la composition de ce beurre à peindre?
Dtp :
Hormis l'essence qui va s'évaporer, vous avez 66,7% de cire, 16,7% de
standolie et 16,7% de dammar à 40%.
Il semble que c'est infiniment trop de
cire d'abeille. Ce médium ne peut vous permettre que de réaliser des
encaustiques, pas de la peinture à l'huile.
La cire est
extrêmement fragile. On rappellera ici une citation de Xavier
de Langlais,
au bout
de ce lien. Il faut la doser de manière homéopathique. Ses
propriétés sont alors suffisantes pour qu'elle joue le rôle
généralement attendu : freiner les mouvements de certains corps
internes à la pâte. Le médium vénitien a été inventé pour bloquer le
mouvement de chute (glissement) des fonds cérusés frais. On peut s'en
servir d'une manière plus contemporaine pour stopper des charges
cristalloïdes. Mais pas à de tels dosages, c'est inutile !
Dans cette recette il y a aussi,
malheureusement, plus de trois fois trop de standolie. Tout cela va
très mal siccativer et se fendillera, ou plissera, ou fondra. Ou tous
ces malheurs ensemble ! Attention, cela arrive réellement et ce n'est
pas drôle. En plus on ne s'en aperçoit pas dans l'immédiat. Il faut
parfois deux mois pour se rendre compte que quelque chose ne va pas.
Venons-en au coeur du sujet.
La question de l'utilité se pose :
pourquoi tant de cire, pourquoi tant de standolie ? Quand on passe aux
techniques à la cire (non saponifiée), il faut changer radicalement de
méthode d'application. On frotte, on réserve, c'est un tout autre
travail. Il est possible d'ailleurs ici que la quantité de standolie
soit trop importante pour une encaustique.
Du côté de la standolie justement, c'est
un solidifiant. On s'en sert d'ailleurs parfois pour certaines
peintures destinées à l'extérieur. C'est aussi un liant à fort tirant
qui permet d'aplanir et de flouter la touche. Enfin c'est un grand
« retardateur de séchage » car elle est lente à siccativer.
Le « grand jeu »
avec la cire consiste à bloquer certains mouvements mais pas tous sans
quoi les oxygènes ne pourront pas atteindre les insaturés. Trop de
cire et votre peinture étouffe, même sans standolie. Elle ne
siccative pas. Ca ne se voit
pas forcément parce qu'elle solidifie la couche picturale mais le
résultat ne peut être que fragile. Quelquefois aussi, cela se voit
franchement : des "bulles" d'huile sont prises dans la cire, c'est
affreux.
AP :
Par ailleurs, j'ai aussi besoin d'une matière très liquide, puisque je
monte mon tableau à l'aide de jus (ou glacis ?) successifs, et le
beurre à peindre dilué à la térébenthine manque d'onctuosité et est
trop "mou" pour permettre les superpositions.
Dtp : Une
note pour les lecteurs : le terme "beurre à peindre" est assez récent
et concerne en particulier un produit fabriqué par une certaine marque
allemande, "L.". Il s'agit d'un "médium d'empâtement" dont la
composition est inconnue. Pas méconnue mais bien inconnue.
AP :
A titre de comparaison, j'ai utilisé un autre médium, composé de la
sorte:
- 1 volume de standolie
- 1 volume de vernis dammar (que je prépare moi-même à 40 % de
dilution)
- 1 volume d'essence de térébenthine
Je commence l'ébauche avec le médium
dilué à 25 % avec de l'essence de térébenthine, puis continue dilué à
50 %, puis 75... Je l'utilise rarement pur car il est très collant. Il
est très agréable à utiliser car il donne du corps aux jus, permet des
superpositions dans le frais et fige rapidement. Mais... il est très
brillant, et ne me permet pas d'empâtement (il donne une pâte trop
molle). Il est parfait pour les jus superposés.
Dtp : 50%
de standolie ! Le temps de séchage doit sérieusement s'en ressentir.
5% serait un chiffre raisonnable. La question du pourquoi reste
posée : pourquoi la standolie, un solidifiant, dans un jus ?
Ceci dit, le résultat doit être
résistant. Si plastiquement le résultat pictural vous convient, le
seul danger qui demeure est de sous-estimer le temps de séchage si
vous appliquez des jus successifs. L'intérêt est par contre moins
évident. Si vous cherchez simplement à donner plus de corps à un jus,
il y a peut-être d'autres solutions moins grasses, plus siccatives.
AP :
Idéalement, j'aimerais combiner ces deux médiums... J'ai essayé
d'incorporer de la cire au medium liquide, mais pas de résultats
satisfaisants aujourd'hui (trop de brillance, pâte molle, pas assez
d'onctuosité..)
J'ai noté une recette dite "medium mat" dans un livre, mais je suis un
peu sceptique sur la formule, qu'en pensez-vous ?
- 10 g de cire préparée (10 g de cire
d'abeille pour 100 g de térébenthine)
- 100 g d'huile de lin crue
- 2 g de siccatif de Courtrai
- essence de térébenthine: 600 g pour l'ébauche, 400 g pour la
peinture à fond, 300 g pour les retouches
Dtp : C'est
un petit peu plus raisonnable mais c'est encore trop de cire. Un
gramme devrait suffire mais cela dépend aussi - en partie - de la
destination du médium.
De toute façon c'est illusoire : la
matité induite par la cire ne se révèle pratiquement pas dans un
médium mais plutôt dans un vernis, pur, dans le cadre strict d'un
double vernissage.
On ne peut pas convier la matité au
coeur de la pâte juste avec de la cire. Il en faudrait des quantités
incompatibles avec la solidité de la couche picturale.
Une petite remarque au passage. Les
pigments sont de la fête : certains - surtout parmi les minéraux - ont
le pouvoir de rendre mat naturellement, au point parfois même de créer
de tenaces embus. Dans les cas moins extrêmes,
il vaut mieux simplement éviter de leur adjoindre un médium mat. La
connaissance des pigments permet d'affiner l'emploi des médiums.
Le siccatif mentionné dans cette recette
est sans doute ajouté pour compenser les effets de l'excès de cire sur
la siccativité. Quoi qu'il en soit, il contient un métal lourd.
AP :
Pour ma part, j'ajouterais bien huile de lin (ou standolie) ET dammar
(je pense qu'il contribue à l'onctuosité des jus, à leur prise rapide
et à la cohésion et au séchage des couches picturales. Cependant il me
semble être le coupable idéal en ce qui concerne la brillance...). Un
medium sans résine est-il envisageable?
Dtp : C'est
une question de définition mais sans rentrer dans les détails
lexicographiques, il n'y a pas obligation, non. D'ailleurs le terme
"médium" vaut ce qu'il vaut lui aussi et sa définition académique est
un peu surprenante. Le mieux est de se référer aux usages.
Le dammar, à moins d'être cireux (mal
préparé), n'ajoute pas tellement d'onctuosité. De ce côté il faudrait
plutôt voir du côté du baume de Venise
éventuellement, même si ce n'est pas la destination principale de
cette substance.
Le dammar est en effet brillant,
handicap pour certains emplois, avantage pour d'autres. Le mastic
l'est moins mais il est cher et un peu plus coloré (jaune). Ce sont
les deux résines tendres de référence.
AP :
Pour résumer, comment créer un medium liquide mat, onctueux et qui
fige rapidement, qui permette de diluer fortement les couleurs ?
Que pensez-vous de la composition du beurre à peindre ?
Dtp : Comme
dit elle est inconnue et l'appellation n'inspire guère confiance. La
transparence du beurre, hum...
On table peut-être sur l'onctuosité, le
côté rassurant comme une tartine au petit déjeuner. C'est du
marketing. Tant que l'usager ne sait rien de ce que c'est, ce n'est
pas sérieux.
Les charges colloïdales,
silice en tête,
sont une bonne piste pour obtenir du corps (ou plutôt de l'épaisseur)
et de la matité. Pour les lier, une huile à peindre suffit. C'est
comme avec un pigment, cela donne une pâte que l'on emploie à peu près
comme un médium-gel.
Il existe d'autres méthodes. Fabriquer
un médium flamand ou bien travailler
sur la cire non pour la matité mais pour pouvoir incorporer des
charges cristalloïdes plus pures que les colloïdes et tout aussi
mates. Mais c'est assez difficile à mettre au point. Cela peut même
nécessiter des cours. Il y a aussi
l'émulsion à la méthylcellulose, que beaucoup apprécient pour son
caractère épaississant. Elle n'est pas très difficile à réaliser.
Mais le mieux est sans doute de
commencer par fabriquer un médium à la silice colloïdale comme indiqué
ci-dessus. Ensuite chacun adapte. Vous verrez par exemple que c'est
tellement mat qu'un peu de dammar n'est pas malvenu, et pourquoi pas
un soupçon de Venise ?
A lire aussi, mais dans le livre de
Jean-Pierre Brazs
Manières de peindre, le passage concernant la matité pp.
180-181. En deux mots, fond très absorbant, peu d'huile et de résine,
et la cire à petite dose. Les émulsion plutôt ! pp. 145-146 sur les
médiums à la cire.
AP :
La marque X. commercialise un nouveau medium dit "mat", mais ne donne
aucune information sur sa composition (pas de réponse au mail que je
leur ai envoyé...)
Dtp : C'est se moquer de l'acheteur.
Il ne faut pas acheter ces "choses
indéterminées", même venant d'une marque aussi renommée que X.
Quelques indications peuvent suffire à se faire une idée, nul besoin
de révéler des secrets industriels, alors pourquoi tant de secret ? Y
a-t-il quelque chose à ne pas dire ? Sans aller jusque là, cela fait
un peu rire : si la marque Y faisait la même chose, pourquoi le client
ne lâcherait-il pas X et pourquoi s'intéresserait-il à Y puisque aucun
n'a d'arguments de vente ? C'est absurde, il n'y a aucun point de
repère !
Mais ne rions pas trop car il s'agit
quand même là de produits impliqués dans des travaux portant sur des
semaines, des mois ou des années. Les tableaux peuvent de plus être
vendus. Pas question de faire sur eux des tests de produits totalement
inconnus.
S'il survient des incidents, c'est
autrement plus grave qu'une tartine tombant du côté du beurre. Ce
n'est pas abstrait. Des Lecteurs nous informent de telles situations
où l'on voit par exemple revenir un acheteur furieux à cause d'un
tableau qui suinte ou telle autre raison liée à la qualité d'un
produit du commerce.
Les préparations non renseignées ne
méritent pas, selon nous, d'être achetées. Sinon, c'est à vos risques
et périls le plus souvent.
Aussi, malgré toutes ces critiques,
ci-dessus, concernant vos dosages pour des médiums, il faut souligner
le bien-fondé de votre approche. Vous utilisez les produits bruts,
vous voulez obtenir quelque chose qui soit "à vous" et non employer
des substances toutes faites. Vous avez une réelle attention vis-à-vis
des matériaux qui vont composer vos oeuvres. Surtout, on sent le
plaisir de la découverte dans votre manière d'en parler.
Il arrive, dans cette approche, de
butter sur certains problèmes, par exemple de dosage ou de
connaissance des produits. C'est justement le moment de la découverte,
un passage obligé fait de bonnes et de mauvaises surprises.
L'important est d'en avoir conscience, ne pas prendre pour acquis ce
qui ne l'est pas. A ce stade, poser des questions est une
manifestation de cette conscience. C'est ce qu'il faut faire et c'est
bon signe. Surtout, continuez !