| |
La question du naturel et du synthétique
"Qu'est-ce qui
distingue les colorants naturels des synthétiques ?"
Cette question revient souvent
dans la boîte au
lettre de Dotapea, émanant surtout d'étudiants. Nous avons donc
décidé de lui dédier une page afin de fournir quelques éléments pour un
débat.
|
Les catégories "naturel" et "synthétique"
sont couramment employées dans différents domaines où souvent elles
posent problème. Dans le domaine pigmentaire - où l'activité créative
humaine est vieille comme la peinture pariétale ou les masques, les
teintures, les maquillages, etc. - c'est encore pire. |
Des catégories peu
adaptées |
Depuis des dizaines de milliers
d'années, on crée du rouge avec des terres jaunes en les calcinant. Quant
aux procédés de teinturerie, souvent complexes, ils sont également
extrêmement anciens. Dans certains cas, il suffit d'ajouter un peu de sel à
la sève d'une plante pour en faire une teinture et déjà, c'est une
modification chimique considérable que l'on impose à la matière première -
une modification qui transforme même souvent sa couleur. |
Presque tous les colorants
sont synthétiques |
Mais surtout, l'extraction de la matière
colorante nécessite déjà en elle-même une intervention humaine majeure. Par exemple,
dans le domaine des ocres, on distingue des dizaines de teintes
fabriquées à partir d'une seule terre en modifiant les traitements de
purification, la taille et la nature des tamis, l'exposition à l'eau, au
soleil, etc., et cela depuis l'Antiquité au moins. Tout cela est
précisément contrôlé, ce qui est sans aucun doute une très bonne chose
pour les peintres. Mais où est le naturel dans ce produit dit naturel ?
On objectera qu'il
existe en teinturerie des colorants substantifs
sur lesquels on n'effectue aucune transformation chimique lorsque l'on teint le
tissu. C'est vrai, mais ces colorants sont eux-mêmes le résultat d'une extraction
et d'un traitement initial parfois très élaboré.
|
Extraire c'est déjà
transformer |
A partir de quand puis-je affirmer qu'un colorant est naturel ?
Un
morceau de saule calciné (disons un "fusain"),
ramassé après un incendie, est un produit colorant naturel. C'est
indéniable. Mais l'image est un pur cliché car
en réalité, c'est bien l'être humain, dans une immense
majorité de cas, qui a reproduit artificiellement le processus naturel qu'il
a d'ailleurs adapté très librement à ses besoins.
Ainsi, selon un témoignage que nous
avons recueilli, on rencontrait encore il y a quelques années dans les
montagnes proches de Genève un personnage mystérieux qui fabriquait des
fusains en plaçant sous la braise des fagots de saule hermétiquement
entourés d'argile. Là encore, bien que le procédé semble archaïque, le produit obtenu peut-il véritablement être
considéré comme naturel ? N'est-il pas une pure synthèse humaine ?
Note : il est possible
qu'il faille
percer un trou dans l'enveloppe
d'argile à moins de chercher une
cuisson en réduction, ce qui
revient à limiter la combustion.
Autour de la fabrication
du fusain, voir aussi un
article du Courrier des Lecteurs
Cliquer ici |
Histoire de "l'inconnu aux
fusains" |
Rien ne semble permettre de distinguer une
différence profonde, existentielle, entre l'opération de calcination des
ocres au paléolithique et la préparation de pigments par l'industrie
pétrochimique. Seuls les procédés diffèrent. Les démarches sont identiques,
aucune ne donne des pigments véritablement naturels.
Ou bien au contraire, on postule que tout
est naturel. Effectivement, il n'est d'autre produit que venant de la
nature. C'est le sens d'une
intervention in
Courrier des Lecteurs 2009-1.
Alors quelle(s)
classification(s) plus pertinente(s) que "naturel et synthétique", mais
s'en rapprochant, peut-on retenir ?
Dans la section même où cet article
est intégré, un autre article traite de la distinction entre colorants
organiques et inorganiques. Là, c'est sur le plan chimique que se
situe la frontière. Une frontière pertinente car très concrète et bien
marquée. Lien
On ne peut adhérer que modérément à
la distinction entre colorants issus de l'industrie pétrochimique et
colorants issus d'autres matériaux ("pétrole ou pas pétrole") car les
entreprises industrielles transforment des substances d'origines très
variées et de plus les mélangent.
Les questions de toxicité et de
pollution peuvent également être évacuées de ce débat précis car il
existe de nombreuses substances colorantes bien naturelles qui sont
toxiques et/ou polluantes.
Les questions de coût de production
peuvent également être abordées, mais elles donnent des réponses
encore moins convaincantes : les pigments azoïques ou phtalocyaniques
industriels sont souvent plus coûteux que les bons vieux ocres. A
l'inverse, certaines terres plus rares, traitées avec davantage
d'attention, sont par contre très coûteuses. Il n'existe pas de règle
absolue dans ce domaine. Les prix ne définissent aucune catégorie
au-delà de leurs propres valeurs.
Mais peut-être existe-t-il d'autres
modes de catégorisation plus pertinents.
|
D'autres catégories ? |
C'est une évidence : les pigments et les
colorants sont les résultats concrets de faits essentiellement
culturels. La nature a très souvent donné l'exemple et ne cesse de le
faire, mais manifestement, c'est l'attention de l'être humain à son
environnement qui l'a le plus souvent guidé vers ses découvertes.
Toute synthèse est toujours une synthèse
d'éléments naturels essentiels : particules, atomes, molécules, ondes
diverses, quantas d'énergie, systèmes organisés, chaos complets, qui
sont simplement réorganisés. La nature elle-même ne cesse d'opérer des
synthèses. Nous aussi. Au fait, le vrai débat ne se situerait-t-il pas
entre nature et culture plutôt qu'entre nature et synthèse ?
Et dans ces débats, qui sont vieux
comme Hérode, n'avons-nous pas tendance à "personnifier" la nature
-
comme pour nous en distinguer davantage - d'une manière peut-être un peu
trop anthropocentrique ? |
En quoi la nature
devrait-elle s'opposer à la synthèse ? |
Retour
début de page
|
|
Communication
|
|