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La composition  

Eléments pour un débat

 

 

 

 

Il ne s'agit pas ici de "donner un cours de composition". Loin d'une pédagogie, nous nous contentons d'évoquer des éléments conceptuels existants et concrètement utilisés à ce jour ou hier, afin de susciter débats et analyses. Les sources étant très nombreuses (artistes, enseignants, documents), elles ne seront pas citées car cela confinerait à l'absurde. Cet article de Dotapea est donc assumé en tant que synthèse originale, à nos risques et périls.

[note : un lecteur pressé cherchant des repères peut passer directement à la section "Quelques concepts récurrents", quitte à revenir lire plus tard le début du texte.]

L'actualité du sujet nous intéresse. La composition plastique, tant sur le plan conceptuel que dans ses emplois réels, connaît en effet une évolution constante, même s'il demeure quelques invariants.

En particulier, le son et la mise en scène de l'œuvre ont pris une importance sans cesse croissante durant les trente ou quarante dernières années. Nombre d'artistes composent leurs œuvres en tenant compte de critères tels que le lieu d'exposition par exemple. La période où l'œuvre était considérée comme une sorte d'en-soi indépendant, obéissant à des règles de composition solides établies de longue date, semble s'éloigner.

Par ailleurs, dans d'autres disciplines telles que la musique, on commence à rencontrer de véritables artistes multimédias qui se confrontent aux mêmes problématiques que les plasticiens. Une certaine interdisciplinarité semble naître doucement, avec une tranquillité qui aurait surpris le jeune Nietzsche de La naissance de la tragédie, promoteur passionné de "l'art total".

Sommaire

Dimensions de la composition

La hâte de savoir

Un rôle majeur, deux modes majeurs

Image et son, image et texte

Références et signification : ne soyons pas innocents

Langage de la composition

<< Quelques concepts récurrents >>

Les éléments attractifs

Le contraste maximal

Le texte

Le mouvement, l'animation

Le son

Les autres attracteurs sensitifs

Autres concepts

Le positionnement, le format

Les axes, leur pouvoir et leur portée expressive

Axes et masses : une opposition ? Grands choix de composition et mise en œuvre

Forme et orientation des axes

Les masses

Ouverture et fermeture

Le rythme

Les répétitions, les égalités : des repoussoirs ?

La circulation de la lumière

Le mouvement

La pesanteur

Dimensions de la composition

Elles se définissent bien sûr par les sens. Joseph Beuys compte au moins vingt-cinq types de sensations (toucher, impression de chaleur, sens et sensations parfois confuses) et évoque un "élargissement" de nos capacités sensorielles. Soupçonné exagérément d'un excès de spiritualité tendant au chamanisme, il posait pourtant sa pierre, dès les années 1960, sur l'édifice de l'art contemporain en s'intéressant de près à des dimensions sensorielles encore inexploitées, poursuivant une recherche qui a commencé dès le début du XXème siècle - particulièrement bien représentée par certains travaux bien connus de Malévitch (voir plus loin).

De fait, la vue peut à elle seule prendre de nombreuses dimensions cognitives. Une œuvre contemporaine peut jouer sur plusieurs "canaux" visuels : couleur, valeur, relief, bien sûr, mais aussi, brillance, éclairage, reliefs transparents, interposition et superposition de surfaces, reflets, dissimulation, animation, etc. Quand le son s'immisce, il peut lui aussi agir sur des modes pour le moins variés : son brut, harmonie, musique, voix, rythmes, discours sonores sur des fréquences disjointes, etc.

La composition d'une performance, d'une vidéo ou d'une installation repose sur une infinité de combinaisons de "canaux d'expressions sensoriels". Ce terrain est loin d'être défriché à ce jour.

 

La hâte de savoir

Le regard, pour ne parler que de lui pour commencer, a ses habitudes naturelles et aussi ses habitudes culturelles. Il recherche avant tout ce qui peut faciliter la compréhension rapide du champ visuel.

Par exemple, il se focalise en premier lieu sur les contrastes les plus forts et les plus nets, les plus lisibles, soit les éléments formels susceptibles de définir ce qui est le plus important sur le plan du sens (répond-il en cela à des préoccupations urgentes telle que "il y a-t-il un ours à deux mètres devant moi ?").
Puis, il accentue les nuances et contrastes chromatiques afin de déterminer des frontières, des formes, des contours ("je vois les oreilles d'un lapin parmi les hautes herbes de ce pré"). Simultanément, il cherche à repérer tout mouvement ("s'il n'avait pas bougé, je n'aurais jamais aperçu ce lézard"). Même dans une œuvre non animée, l'expression du mouvement ou de l'action - lorsqu'elle est convaincante - attire puissamment le regard.
Celui-ci semble chercher à décoder l'information en suivant une sorte d'ordre de priorités adaptable. Chasseur ou proie, il est en partie animal.

Mais il a aussi ses habitudes culturelles, tout aussi efficientes. Il entre généralement dans une image comme dans un page écrite- si d'autres éléments prégnants ne l'attirent pas en premier lieu -, en haut à gauche en Occident. Il détecte d'emblée la présence de textes ou de signes dans le champ pictural.
Puis, il navigue non sans être influencé par l'ambiance sensitive et émotionnelle qui entoure l'observateur, sans parler des contextes psychologiques personnel, groupal, sociétal. Une œuvre "change de dimension" en fonction du lieu (géographie, topographie, éclairage, etc.), de l'usage (muséal, religieux, politique, etc.), de la situation économique, politique ou idéologique, et bien entendu, en fonction de l'état psychique du spectateur.

[Deux tendances]

Ces facteurs culturels influent souvent - peut-être de manière croissante - sur la manière dont l'œuvre est composée ou même pensée, conçue par l'artiste bien avant d'être vue par le public, mais non sans intérêt pour la réaction de celui-ci. L'artiste se fait scénographe. La composition semble s'étendre au contexte.

Cependant, cet état de faits n'est peut-être pas définitif. Certains artistes ont recherché, au XXème siècle, tout le contraire : l'œuvre-univers, ailleurs absolu coupé du reste du monde. Et certains poètes n'ont-ils pas voulu "exprimer l'univers" en une seule phrase ? On peut pourtant se demander si cette tendance n'est pas elle-même une mise en scène en même temps qu'une mise en formes ou en mots. La composition réelle de l'œuvre, c'est toujours aussi sa mise en scène, qu'elle soit en rupture ou non, et cette dimension est fondamentale.

 

Un rôle majeur, deux modes majeurs

L'un des rôles majeurs de la composition est sans aucun doute de concentrer l'attention du spectateur sur l'œuvre ou une partie de l'œuvre. Il est impossible de se contenter de la seule dimension expressive de la composition, faisant l'impasse sur son versant cognitif, car celui-ci est transmetteur de sens.

Nous cherchons naturellement à glaner et interpréter l'immense quantité d'informations situées en permanence dans notre espace sensitif (visuel, sonore, etc.), c'est un fait. Mais la vitesse à laquelle nous le faisons est sidérante et ce fait est essentiel, déterminant.

L'œil notamment, habitué à cette exploration permanente - pour ne pas dire "pris dans ses habitudes" -, peut glisser très vite hors du champ pictural d'un œuvre artistique.

L'un des moyens par lesquels on peut l'en empêcher temporairement est de "fermer" l'image (voir ci-dessous) et d'éviter de placer certains éléments risquant de faciliter cette sortie "tout schuss" (cf. passage). Mais bien sûr, cette solution "technique" est insuffisante en soi.

Parallèlement, des problèmes finalement similaires peuvent apparaître dans d'autres domaines des arts plastiques. Concernant les installations, la scénographie et la muséologie, les artistes et intervenants se trouvent parfois confrontés à un dilemme lorsque l'œuvre est "englobante" ou doit être englobée dans un espace créant une ambiance. Il arrive en effet dans ce cas, notamment lorsque le contenu artistique peut choquer, que l'installation donne une impression de contrainte, d'enfermement, d'emprise, et suscite des réactions de rejet, voire de phobie, d'écœurement ou de haine - de toute façon, d'incompréhension. L'un des moyens concrets de contourner cet écueil est de susciter de la part du spectateur la curiosité d'aller vers l'œuvre. Par exemple en la cachant partiellement.

Enfin, il semble que l'on peut définir des modes d'expression qui vont déterminer le type d'attention sollicitée chez le spectateur.
Citons Christian Boltanski [1] : "Quand je fais une grande exposition, j'essaye souvent d'avoir un début et une fin, parce que l'émotion vient du temps. Mais c'est un temps différent de celui du théâtre ou du cinéma." [...] "Je suis comme un musicien, je peux jouer mon œuvre et je peux la jouer mieux ou plus mal, en fonction du lieu de la manifestation. C'est du théâtre sans texte, sans spectacle. Ce que je souhaite réaliser est entre théâtre et installation." [...] "Quand nous voyons un film, il y a un début et une fin la plupart du temps. Quand vous voyez un tableau, vous pouvez le regarder pendant dix minutes ou six heures, et vous pouvez vous déplacer autour. La grande "coupure", en termes de médias, je pense, est le temps ou l'espace."

 

Image et son, image et texte

Les relations entre le son et la dimension plastique sont un sujet encore mal connu. Les cinéastes disposent de connaissances plus approfondies que les plasticiens, mais leurs intentions, à dominante narrative dans un cas, plus rarement ou moins systématiquement dans l'autre, ne sont pas vraiment comparables. Manifestement, une élaboration (une exploration ?) est en cours.

De même, la relation entre image et texte, familière aux auteurs de bandes dessinées qui se sont empressés de la codifier à des fins compréhensibles d'efficacité narrative, peut sembler un véritable piège pour qui n'a pas la narration pour but. En effet, un texte placé au sein d'un œuvre picturale attire considérablement l'attention, attention toujours en quête d'informations. Le spectateur cherchera souvent une explication de l'œuvre ou une narration dans le texte contenu. Une démarche à tendance presque lettriste, qui part au contraire d'un ou plusieurs textes pour parvenir à une expression picturale, pourrait avoir davantage de chances d'aboutir à un résultat échappant à la toute-puissance de la recherche de sens immédiat. Certains artistes travaillent en ce sens.
D'autres, dont certains bien connus, ont cherché à rapprocher la composition de leurs œuvres peintes ou sculptées de la forme d'un signe écrit, lettre ou idéogramme. Une tout autre démarche.

 

Références et significations : ne soyons pas innocents

A certaines époques en Occident, la robe de la Vierge était bleue. Elle devait être bleue.

De là, se pose une question. Est-ce que je fabrique un objet - ou un concept, ou un spectacle - qui sera utilisé dans le cadre d'un usage précis et qui devra comporter certaines références, à des fins qui ne sont pas "rigoureusement artistiques" ? La robe de la Vierge était souvent peinte, pendant une partie du Moyen-âge, avec du lapis-lazuli, ce qui déterminait une valeur marchande intrinsèque des tableaux. Une valeur à laquelle les commanditaires étaient attachés. Disons les choses plus crûment : que l'artiste peigne une croûte ou un chef d'œuvre, il y avait une garantie de valeur. Evitons donc toute innocence : le champ d'application de ce que l'on nomme composition est traversé par des significations culturelles, sociétales, qui ont une répercution déterminante.

L'idée de "faire référence", ce que l'on nomme aujourd'hui "art référentiel" ou "part référentielle" - qui trouve son expression la plus manifeste dans l'art musical actuel (samples, remix), mais que l'on déniche aussi sans peine dans la production de nombreux plasticiens - n'est pas une nouveauté. Elle a été parfois à strictement parler l'une de dimensions majeures de la composition d'une œuvre. Combien de fois l'art n'a-t-il pas avoisiné, sous la contrainte ou librement, l'imitation ou l'emprunt ?

 

Langage de la composition

Au travers de la double dimension culturelle et cognitive de la composition, on parvient à distinguer quelques concepts, voire quelques règles même, qui ont été pour le moins explorées, interprétées et parfois amendées par les artistes depuis le paléolithique. Ceux-ci ne se sont pas privés de jouer avec les habitudes, les contrariant, les modifiant parfois, ou s'y conformant. La composition plastique semble s'apparenter à une langue vivante, mais en partie seulement.

On peut certainement dire que l'intention de l'artiste "se lit" pour une part dans la composition de son œuvre. Mais la lire, est-ce la comprendre ou la ressentir ? Curieusement, beaucoup de chefs d'œuvres contemporains ou anciens nous semblent avant tout "ressentis", même quand leur architecture est complexe et longuement méditée, même quand l'œuvre n'a pas un caractère "lyrique". La cognition semble alors souvent découler d'une émotion qui se forme à la vitesse de l'éclair, même si cette émotion n'est pas définitive. Règnent l'immédiat et l'intemporel. La composition, au sens classique, sert à ne pas faire fuir le regard, à le maintenir, mais aussi à le faire revenir éternellement dans son exploration de l'œuvre.

Et c'est précisément en cela que la composition visuelle, au sens classique toujours, n'a d'un langage que l'apparence. Elle est chuchotement indistinct, évocation, raccourci à décoder ou éléments à investir de significations personnelles. Ce qui vaut d'ailleurs pour d'innombrables créations contemporaines.

Il n'en va pas de même de compositions narratives. Les significations font sens, presque à la manière d'un texte. L'artiste contemporain semble avoir un choix entre ces deux pôles depuis déjà quelques décennies.
 

 

 

<<< Quelques concepts récurrents >>>

 

Simples points de repère bien connus - à relativiser de toute façon -, ils sont très insuffisants en face des possibilités des arts plastiques contemporains.

 

 

Les éléments attractifs

 

Le contraste maximal

On l'a dit, ce qui concentre l'attention du regard, semble-t-il en premier lieu d'un point de vue cognitif, c'est le contraste le plus important et le plus net, comme le soulignent différents auteurs. Une expérience que l'on peut vérifier aisément en effet.

 

Le texte

Tout texte attire l'œil, le plus souvent de manière radicale. Si le texte est lisible, il est porteur de sens. Il capte donc très vite notre attention qui en est avide.

 

Le mouvement, l'animation

Tout mouvement, même infime, toute impression de mouvement, même simplement suggérée, focalise notre attention. Sans doute y a-t-il là aussi en nous une recherche de sens : cela bouge, que se passe-t-il ?

Au-delà de cette considération basique, la mise en œuvre du mouvement animé a ses propres règles de composition, qui sont innombrables. Certains plasticiens semblent s'attacher en premier lieu à adopter un regard qui peut sembler "nu", "frais" (débarrassé des concepts cinématographiques et télévisuels), parce qu'il est lié à une intention artistique précise et non à un mode d'expression spécifique. Leur conception du mouvement est sûrement à distinguer de celle des réalisateurs.

 

Le son

Le son peut intensifier ou réduire l'attention à l'image. Il peut aussi bien créer une distanciation qu'une harmonie. Son pouvoir est considérable. Bruit, parole, musique... aujourd'hui, les plasticiens s'y intéressent de très près, comme les cinéastes hier mais d'un autre point de vue, peut-être moins systématiquement associé à l'efficacité d'une narration.

 

Les autres attracteurs sensitifs

... ne peuvent être évoqués de manière univoque.

 

Autres concepts

 

Le positionnement, le format

Selon la règle des trois tiers, la règle d'or, la porte d'harmonie et la règle du report (voir Nombres spéciaux), il existe des "points privilégiés" sur toute surface, des points forts qui semblent correspondre à une sorte de processus inhérent à la cognition.

Pourquoi des points forts ? Difficile de répondre. Cependant, on peut se demander si tout simplement, le cerveau n'est pas en quête de points de repères simples, non dénués d'un aspect mathématique abstrait et globalisant, simplifiant "statistiquement" la cognition d'une image. Soit dit sans garantie scientifique, bien que certaines études (très expérimentales) aient confirmé la prégnance de certains rapports (tiers et section dorée) sur des populations considérables.

Quels sont ces positionnements au juste ? Traçons mentalement des lignes traversant n'importe quelle surface rectangulaire ou carrée en la divisant en trois parties de surfaces identiques, dans le sens horizontal d'une part et dans le sens vertical d'autre part, ce qui nous donne neuf surfaces. Les quatre points d'intersection des verticales avec les horizontales sont de véritables points forts. Voici pour la règle des trois tiers. D'une manière similaire, la règle d'or et les multiples du nombre d'or définissent par croisement la localisation de lieux privilégiés.

 

Le format - ou plus généralement les dimensions de l'ensemble de l'œuvre - est la base même de ces questionnements. Vais-je me caler sur le nombre d'or, la porte d'harmonie, la règle des tiers ? Toute l'architecture d'une œuvre en dépend. Pour prendre un exemple simple, dans le domaine de la peinture je vais choisir un format figure, paysage, marine, carré, double carré, etc., ou bien un format atypique car cela correspond à ma libre intention artistique, à un mode d'expression - le mot n'est pas trop fort -qui me convient. Cependant, cela induira de fortes contraintes, des limites bien réelles. L'artiste peintre se fait là architecte ("excellent ouvrier" - voir glossaire) par ce difficile choix dimensionnel dont toute construction ultérieure - donc tout positionnement - dépendra.

Pour information, lire Les formats de châssis
et l'introduction de Les formats de papier.

 

Les axes, leur pouvoir et leur portée expressive

Les axes sont essentiels dans la composition d'une œuvre. Ils semblent jeter des ponts, poser des assises, placer contreforts et arc-boutants, voire même lier l'œuvre - tableau ou œuvre tridimensionnelle, où d'ailleurs le plan peut jouer le même rôle que l'axe - à son environnement. Ils en sont la maçonnerie. Et un peu plus peut-être.

Equerres et fils à plomb massifs chez Mondrian, diagonales (courbes parfois également) suggérées mais assez lisibles chez Rembrandt, presque invisibles chez d'autres artistes, les axes peuvent en fait prendre toutes les orientations, adopter des formes plus ou moins variées - quoique limitées par une sorte de nécessité de lisibilité - et surtout, ils autorisent des ponctuations. Leur rôle est double : ils facilitent la lecture de l'œuvre en aidant à lui donner une structure, mais agissent en même temps sur son sens profond. Nous allons y revenir dans les deux sections qui suivent.

L'axe est une ligne le plus souvent évoquée et non affirmée, notamment grâce au jeu des intermittences, des ponctuations. D'une scansion picturale naissent des rythmes, parfois calés sur des rapports numériques. La lumière circule aisément dans la discontinuité, des éléments hétérogènes se trouvent reliés.

 

Axes et masses : une opposition ? Grands choix de composition et mise en œuvre

Ce sujet, fondamental en composition, a été largement exploré pendant la première moitié du XXème siècle par les peintres d'Europe de l'Est ainsi que quelques autres.

Le constructivisme a clairement affirmé une préférence pour les axes et les plans, opposés aux masses. Strzeminski [2] a fait comprendre l'intérêt cette orientation : l'homogénéité et la tenue structurelle obtenues sont remarquables. Cette conception artistique s'opposait au suprématisme, à moins qu'elle n'en soit la continuation logique après la révolution que constitua le Carré blanc sur fond blanc. En effet, jusqu'alors, l'artiste (à cette époque, en Russie principalement) faisait de la confrontation des masses l'objet et/ou le moyen de son travail.

Alors faut-il penser que "qui dit masses dit confrontation, qui dit axes dit union" ? Aussi univoque qu'elle paraisse, cette affirmation n'est sans doute pas à rejeter intégralement a priori. Certes, masses et axes se marient, fusionnent ou se contrarient, s'engendrent ou se détruisent. Ils ne sont pas de parfaits opposés ni d'absolus complémentaires. Mais ils sont des faits cognitifs de natures différentes et c'est là l'important. Ils ont la capacité d'exprimer une possible différence, une possible altérité. Ils semblent avoir chacun une sorte d'identité séparée et leur mise en présence peut engendrer des complexités, elles-mêmes de tendances dominantes différentes.

L'avantage aux axes ou aux masses n'est pas un choix innocent en composition.

[Mise en œuvre]

Concrètement, ce choix se matérialise par l'intensité des contrastes entre les masses (s'ils sont faibles, ils accentueront la prégnance des axes) et aussi par les oppositions (de contrastes, de formes, de localisations) entre masses et axes. L'avantage aux masses implique d'une part une mise à contribution maximale des axes à leur délimitation, d'autre part de forts contrastes entre masses. Mondrian en a fait une règle et le Carré noir sur fond blanc de Malevitch semble l'application suprême de ce principe. La masse du carré noir entouré de blanc est consolidée par les quatre axes latéraux qui se mettent totalement "à son service", faisant corps avec elle. Le Carré blanc sur fond blanc n'est pas l'opposé de cet exemple : les axes ne contrarient pas la forme de la masse centrale.

 

Forme et orientation des axes

[Diagonales]

Parmi les diagonales, on distingue deux types d'axes : les axes montants (du bas gauche vers le haut droit, du moins en Occident) et les descendants (du haut gauche au bas droit).
L'axe descendant pose un problème "cognitif" : il encourage le regard à suivre son mouvement naturel qui le mène littéralement à sortir de l'œuvre. Un autre axe est généralement mis en place quelque part en bas à droite pour lui barrer la route, si l'on peut dire.

[Retourner un tableau, un procédé secourable ?]

La portée expressive des axes montants ou descendants peut assez souvent - mais surtout pas systématiquement - être associée à ce que symbolisent pour nous une montée, une progression, une ascension, une escalade, ou bien une pente douce, une retombée, une chute. Des mots à ne pas prendre au pied de la lettre. Il s'agit de saisir des tendances, de possibles points de repères dans des chaînes associatives. Cependant, de fait, les descentes de la croix, dans les représentations chrétiennes, sont rarement basées sur des axes ascendants.
A cause de cette dissymétrie, il est en partie faux d'affirmer qu'un "bon tableau" peut être retourné sans perdre son expressivité. Il conservera sa structure - alors qu'un tableau "mal composé", c'est-à-dire peu structuré, sombrera dans l'absurde -, mais il ne sauvegardera pas sa symbolique. Cette pratique du retournement, comme l'emploi du miroir, est indéniablement secourable et semble se conformer intégralement aux postulats gestaltistes, mais elle a ses limites quant aux significations véhiculées.

[Verticales et horizontales]

Les verticales, dit-on ici et là, expriment une sorte de stabilité. Référence à l'architecture ? Référence au tronc d'arbre ? A un symbole sexuel ? Difficile à dire. Ce type d'interprétations est hasardeux.
Les horizontales, quant à elles, signifieraient un pouvoir, une assise, une confiance. Peut-être, mais peut-être aussi bien un état léthargique, la mort, etc.

Il faut bien le dire : les horizontales et les verticales sont des axes forts sur le plan structurel, mais elles semblent généralement moins expressives que les diagonales. Il est plus difficile de "les faire parler". C'est peut-être pour cette raison, la neutralité, qu'elles ne semblent là, chez Mondrian par exemple, que pour définir une structure capable de soutenir des masses colorées.

[Courbes]

Les axes courbes sont, eux, très expressifs. Mais ils n'ont pas le pouvoir directement structurant des droites. Les compositions où la courbe domine (on pense par exemple aux cercles des Delaunay) sont plus facilement rythmées mais parfois complexes. Pour réduire cette complexité, se rapprocher de la forme simple qu'est le cercle est une solution qui a fait ses preuves.

 

Les masses

Qu'entend-on généralement par "masses", un terme que l'on entend si souvent ?
S'il est possible d'en donner une définition, disons qu'il s'agit de surfaces, d'étendues ayant forme prégnante, qui se distinguent principalement par leur valeur et/ou leur couleur, leur matière, leur brillance, leur consistance, etc. Une œuvre plastique peut comporter un nombre varié de masses, mais rarement un grand nombre car notre attention peine en ce cas à les distinguer (note : l'illisibilité peut être recherchée). Il existe d'ailleurs des sortes de "masses transitionnelles", par exemple les dégradés.

Les masses en présence dans une œuvre plastique sont grandement déterminantes de sa structure, presque au même titre que les axes auxquels elles sont d'ailleurs souvent associées, même si elles les contrarient. Pyramidales, binaires, ternaires, multiples, assises, verticales, rondes, en huit, en ascension, etc., elles semblent structurer des types d'expressivités.

[Caractère expressif des masses]

Le concept de masse est puissant. Notamment, il peut nous renseigner sur les choix majeurs d'une composition et d'une intention artistique. Un exemple extrêmement kitsch : je valorise le Prince en le représentant au sein d'une masse centrale mi-teinte de forme pyramidale, entouré d'une zone très lumineuse dégradant vers le foncé près des bords du tableau. Mon intention est claire : le Prince est Dieu en personne. Le choix de faire correspondre exactement les masses (valeurs, couleurs, reliefs) aux contours d'éléments figuratifs tels que des personnages peut provoquer un "effet kitsch" ou, lorsque le procédé est moins radical, à une simple mise en exergue.
La topologie des masses picturales est donc souvent porteuse de sens. Leur structuration et la forme de leur convocation dans l'espace pictural peut les affubler selon les cas d'une lourde dimension politique, philosophique, religieuse ou, à l'opposé, d'apparences poétiques, personnelles, naturelles, éphémères.

[Des masses de quoi ?]

Une seule masse implique nécessairement l'uniformité de l'œuvre. Le tableau Carré blanc sur fond blanc de Malévitch n'est pas une surface homogène. On distingue nettement le carré blanc central du fond également blanc, mais d'aspect différent, qui l'entoure. Le titre du tableau n'est pas usurpé. Car les faits sont là en deçà de toute interprétation symbolique (contrairement au Carré blanc sur fond noir qui pose sans doute d'autres questions immédiates de sens) : Malévitch prouve matériellement qu'un carré blanc sur fond blanc, cela peut exister et donc que la valeur ou le chromatisme ne sont pas les seuls modes d'expression à la disposition des artistes.

Cette découverte magistrale illustre le savoir et la puissance acquis par les artistes du XXème siècle dans le domaine du concept de masse et bien sûr, d'autres dimensions de l'art contemporain.
La référence à Malévitch était inévitable dans ce passage consacré aux masses dans la composition car elle illustre le fait qu'il est devenu possible de construire des formes structurellement majeures dans une œuvre exclusivement par des variations de touche, voire de brillance ou de matière, pourquoi pas de chaleur ou d'éléments matériels incarnant référentiellement une dimension culturelle (Pougny), ce qui a largement ouvert la voie à ce que l'on nomme actuellement le multimédia, où l'artiste joue librement "sur plusieurs tableaux à la fois", pour ainsi dire, c'est-à-dire sur une multitude de canaux d'expression (lire l'introduction de "Dimensions de la composition"), ou en se concentrant sur un canal isolé s'il le souhaite. Il peut aujourd'hui se sentir affranchi des "canaux obligés" que le passé mettait à sa disposition : la valeur, la couleur et le relief.

 

Ouverture et fermeture

Une ouverture est un passage non contrarié par un élément visuel vers l'extérieur de l'image. Ou bien une entrée lumineuse qui incite le regard à entrer par une "zone ouverte". En Occident, l'ouverture est plus aisément placée en haut à gauche de l'œuvre. En bas ou à droite, elle a tendance, parfois, à "faciliter la sortie", ce qui est évité par l'ajout d'un élément fermant. Un point de vue très global, trop global, à moduler selon la composition d'ensemble.

Comme on l'a suggéré ci-dessus, le jeu de la composition consiste bien souvent à retenir l'œil, l'œil bolide, dans le champ de l'œuvre picturale. Cet enjeu important étant devenu trop lisiblement un procédé et, pouvant en plus induire des contraintes indésirables, certains peintres ont cherché dès la Renaissance à rendre l'intention aussi invisible, fluide et naturelle que possible. La fermeture s'est faite discrète. L'art abstrait, qui est souvent un art de composition, a parfois pris cette tendance à contre-pied.

 

Le rythme

C'est la répétition d'éléments picturaux généralement hétérogènes. On peut aussi bien répéter - sans les reproduire rigoureusement - des axes, des masses ou bien ponctuer, scander des axes ou des masses.

Le rythme peut poser la question de la répétition et des égalités.

 

La répétition, les égalités : des repoussoirs ?

Ce que les artistes nomment répétitions ou égalités n'est pas le rythme. Une forte égalité (une grande ressemblance) de masses ou de chromatismes, à moins d'être délibérée et de faire sens, crée une monotonie que le regard humain, perspicace et très versatile, identifie sans délai et fuit spontanément en règle générale, peut-être parce qu'il ne trouve pas d'intérêt à explorer séparément des structures qu'il juge trop identiques. Quoiqu'il en soit, la répétition à l'identique est au mieux "minimalisante", au pire, pauvre et ennuyeuse. Elle peur d'ailleurs servir à mettre en valeur d'autres éléments.

 

La circulation de la lumière

Très importante pour certains, hors de propos pour d'autres, elle ne devrait pas être prise pour une règle de composition mais comme un choix dont les modalités de mise en œuvre déterminent la valeur expressive.

L'œil ne suit pas la lumière comme le cours ininterrompu d'une rivière. Il peut parfaitement suivre un parcours en pointillé. "Quelque chose" peut "circuler" sans qu'il s'agisse de lumière. On peut donc agir sur une zone d'aspect occlus par des moyens divers : axes, rythmes, contraste (transitions) de couleurs ou de valeurs, mouvements à proximité, ...

 

Le mouvement

C'est essentiellement la mise en présence simultanée de la courbe et de la droite qui suggère ce que l'on nomme le mouvement. Les croisements de courbes hétérogènes peuvent cependant susciter également cette émotion bien particulière qui évoque la danse, la complémentarité, l'interaction. D'autres procédés ont également été explorés depuis longtemps, comme par exemple le décalage, que Raoul Dufy par exemple imposait entre contours et masses chromatiques. Le mouvement semble naître, dans ce simple décalage, de légères différences formelles. C'est un mouvement un peu "minimaliste" qui s'apparente assez à un effet de rythme, mais il est curieusement efficace car il joue sur une ambiguïté topologique un peu comme le ferait une image volontairement brouillée.

L'expression multimédia peut exploiter des hétérogénéités pour créer ce type d'émotions complémentaires.

Faire naître l'harmonie de la dissymétrie est sans aucun doute un jeu puissant. Mais le mouvement n'est pas nécessairement harmonieux : il peut également être dissonant. Il met en scène une différence formelle qui peut aussi bien évoquer l'harmonie que l'isolement ou la confrontation. Du menuet au pogo en passant par le Lac des cygnes et le tango, il existe toutes sortes de danses.

 

La pesanteur

Certains artistes et enseignants y font référence.

Il s'agirait d'une correspondance entre la présence de masses sombres en haut ou en bas de l'espace pictural et la sensation globale de lourdeur ou de légèreté que susciterait l'œuvre.

Il est impossible de confirmer la validité de ce concept car il semble se superposer à d'autres. Affirmer que le positionnement de zones sombres a en lui-même une résonance, une signification intrinsèque, un impact précis, c'est possiblement juste, mais d'autres éléments de composition semblent néanmoins plus déterminants.

 

 

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[1] Tate Magazine Issue 2 - Studio visit - Christian Boltanski

"When I make a large show, I often try to have a beginning and an end, because emotion comes from time. But it's a different kind of time than theatre or cinema." [...] "I'm like a musician, I can play my work and I can play my work better, or worse, depending on the place where I am showing. It's theatre without text, without spectacle. What I wish to do is something between theatre and installation." [...] "When we see a movie, there is a beginning and an end, most of the time. When you see a painting, you can look at it for ten minutes or six hours, and you can move around. The big "cut", in terms of media, I think, is time or space."

[2] Prononcer à peu près Chtjéminske avec un accent tonique sur tjè. Wladyslaw Strzeminski fut un peintre et un important théoricien constructiviste polonais.

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