"L'ancienne école" n'est sans doute rien d'autre qu'une
transposition ou une survivance - selon le cas - de l'organisation réellement archaïque de
l'enseignement par l'apprentissage : l'élève est un
apprenti qui reçoit l'enseignement d'un seul Maître dans le cadre d'un atelier
où le massier, chargé de gérer la "masse" (sorte de cagnotte, trésor de
l'atelier) est désigné par le Maître. Être nommé massier, c'est en même temps une sorte de
reconnaissance, de titre honorifique - peut-être à deux sous et à double tranchant.
Dans cette sorte d'archaïsme persistant, on est bien loin de la législation contemporaine
concernant les formations et stages comme du droit universitaire. Ceux-ci
imposent en effet l'élection de délégués représentatifs. Disons le : le
concept classique de l'enseignement dans ce domaine - mais peut-on véritablement
parler d'enseignement ? - est plus que réactionnaire. Seule évolution en deux
siècles : l'apprenti n'est plus tenu à travailler pour le maître. Mais il n'est
pas rémunéré non plus, ni logé : au contraire, il paye.
Ce système est encore à
l'ordre du jour sous différentes formes (dans certaines institutions, l'élève a
quand même le statut d'étudiant et bénéficie d'une représentation). Cela demeure presque inchangé en différents lieux grâce notamment à quelques tours de
passe-passe juridiques.
Selon sa chance, dans certaines écoles d'art, de fait, l'élève peut perdre des années
sous la dictature d'un enseignant abusif et omnipotent relayé auprès des élèves
par un massier infatué et complaisant (ceci n'est malheureusement pas une
caricature) ou bien bénéficier de l'enseignement enrichissant d'un bon Maître
qui ne prendrait pas cet esprit-là au pied de la lettre.
Mais même dans ce dernier cas, on
peut certainement reprocher à ces formations de ne pas être tellement formatrices car
elles ne donnent pas à l'élève un véritable recul sur la discipline ou les
disciplines qu'il souhaite connaître. Sortant de certaines écoles, dans bien des
cas, l'élève X du Maître Y devient un Y bis voué à terme à changer de
spécialité, pas un jeune artiste X. C'est le danger numéro un. Il est souvent,
très souvent fatal à de réels talents artistiques.
On dit parfois que précisément, seuls les authentiques futurs bons artistes
émergent de ce type d'enseignements. Opinion radicale qui ne semble guère
garantir une réelle diversité de la production artistique à venir.
A l'opposé, un véritable enseignement "multi-ateliers" tel qu'il est aussi,
en partie, pratiqué en France - notamment à l'université -, semble nettement plus adapté à la réalité des arts plastiques contemporains
qui sont essentiellement "multi-techniques", "multi-médias",
"multi-inspirations".
Les concours
Un fait historique doit sûrement rester présent dans
notre mémoire : Cézanne, qui aujourd'hui fait office de référence majeure
pour tant d'enseignants,
fut recalé au concours d'entrée de l'école des Beaux-arts de Paris et dut
recourir à une célèbre institution privée.
Bien sûr, l'École Nationale des
Beaux-Arts (ENSBA) a changé et il ne s'agit en aucun cas de mettre en question
la qualité de sa sélection actuelle. Seulement le cas de Cézanne n'est pas isolé
(il y a eu Rodin par exemple) dans le monde des "écoles à concours", et ce pour une raison évidente : un jeune
artiste étant voué par nature à évoluer, aucune sélection ne peut être parfaite
puisqu'il s'agit à un instant t d'imaginer une carrière à construire. Tâche
difficile.
Ceci devrait sans doute être entendu en premier
lieu par les
personnes jeunes qui souhaitent recevoir un enseignement.
S'adresser à ce type d'écoles n'est pas forcément une démarche en adéquation
avec une vocation naissante, même parvenue à un stade prometteur. Le concours
n'est pas un "must". Il existe d'autres solutions dans les secteurs public et privé
ainsi que dans les autres pays, qui conviendront bien à certaines personnalités.
Dans le
contexte des concours, l'élève potentiel se trouve clairement en situation de
demande. Dans différents autres contextes, la situation est neutre : l'élève
bénéficie simplement d'un service public, dans le contexte privé il est client.
Tout particulièrement dans les domaines de l'architecture et du design,
il peut rappeler qu'il est client si certaines dérives se
produisent.
Autres types
d'enseignements, méthodologies
Cela bouge beaucoup et dans tous les sens.
Il
existe une demande et une offre pour des disciplines qui n'étaient pas abordées
antérieurement. Produits naturels, cuisine des liants et des pigments,
techniques cognitives, etc. Une véritable ébullition qui concerne un large
public.
Le problème de l'enseignant est souvent de
gérer l'attente de l'élève car au-delà des apparences, des mots passe-partout un
peu lénifiants comme
"civilisation des loisirs", "cours du soir", etc., il s'agit souvent de
passions longtemps refoulées, parfois devenues impérieuses. Comment leur donner
forme ?
La théorie ne semble pas toujours en phase avec
l'évolution de la civilisation. Il était encore possible de décréter "je fais de
la méthode Martenot" dans les années 80-90. C'est devenu plus difficile. La
demande de qualité et de contenu est plus importante. Et ce changement est
sûrement une bonne chose.
Mais qu'entendait-on par ces mots, "je fais de
la méthode Martenot" ?
Focus
sur la méthode Martenot
La méthode Martenot, initialement conçue pour
l'enseignement de la musique a été transposée dans d'autres domaines
artistiques.
Plusieurs "ateliers Beaux-Arts" se réclamaient de Martenot dans les années 1990,
ceci en relation avec la dimension ludique voire même « loisirs » (sic) de leur
enseignement.
Deux citations du livre de Maurice Martenot et
Françoise Déhan (p. 7) :
« Ici, il importe bien plus
de sentir, puis de ressentir, que de comprendre. »
« Parce qu'en faisant appel à l'imagination créatrice, qu'il s'agisse d'imaginer
des lignes, des couleurs, des mouvements sonores ou des gestes d'expression
plastique, on éveille l'une des plus enrichissantes facultés : l'une des joies
les plus profondes, celle de créer. »
Ajoutons que dans cette méthode, les
difficultés sont sériées de sorte à identifier la source du blocage général d'un
élève en retard, par exemple. Cette méthode est essentiellement scolaire.
Mais il existe un présupposé cognitif derrière ce choix pédagogique : il
existerait un « circuit » sensoriel et un autre « circuit », celui du
raisonnement. Maurice Martenot fait d'abord appel au premier (cf. première
citation), sans oublier l'autre mais le concept sans doute le plus
notable semble la dichotomie entre les deux apprentissages et les deux
« circuits ».
La méthode implique des recours à des « renforcements » qui renvoient aux expériences réflexologiques
du début du XXème siècle et à leurs prolongements
comportementalistes. Il ne faut sûrement pas sous-estimer une possible froideur
dans les présupposés cognitifs ou dans la pédagogie de cette méthode.
De plus, apprendre à jouer d'un instrument - bien davantage que manier la brosse
-, n'est-ce pas apprendre à sentir, ressentir, réfléchir et créer
simultanément et instantanément, dans un
mouvement cognitif global impliquant une vaste série de schèmes beaucoup plus
imbriqués que ceux que Martenot prend pour bases ? La sensibilité,
l'arc réflexe, la mise à plat des difficultés, d'accord, mais ne s'agit-il pas
ici d'une démarche possiblement réductrice et de plus, fondamentalement scolaire
et adapté à un autre art ?
Peut-on transposer cette méthode dans le monde des adultes ou celui des loisirs ? Les auteurs n'ont
aucunement prétendu à cela.
Quoiqu'il en soit, l'assimilation
pure et simple de la dimension ludique ou de loisirs d'un enseignement à des
éléments de la méthode Martenot pourrait constituer une trahison du
propos des auteurs.
Méthode Martenot
Maurice Martenot & Françoise Déhan
Magnard 1979
Cerveau droit et cerveau gauche
Quelques années après l'émergence de la méthode
Martenot, d'autres auteurs, enseignants et intervenants mettent en avant la méthode dite "du cerveau droit".
Ce n'est pas une méthode aussi globale que celle que proposait Martenot, bien
que la part théorique s'inscrive tout à fait dans la même lignée. On y met en
scène la même dichotomie entre d'une part sensibilité, spatialisation,
globalisation, etc., et d'autre part raisonnement, langage, logique, etc. L'un
des problèmes liés à cette théorie réside précisément dans ces "etc." qui ont
ouvert la voie à des interprétations parfois plus que discutables.
Mais la
nouveauté principale, par rapport à la méthode d'enseignement Martenot, semble
qu'elle apporte
certaines précisions pratiques et une efficacité réelle, au contraire d'une démarche
d'ensemble incluant des perspectives plus ou moins comportementalistes.
Il est vrai que cela fonctionne
remarquablement, particulièrement dans le domaine du dessin. D'ailleurs, la
démarche n'est pas nouvelle. Avant de prendre des traits scientifiques, elle a
été mise à l'oeuvre en premier lieu et allègrement, par les impressionnistes.
Dehors, la théorie de la perspective, les sfumatos
calculés et convenus, l'anatomie qui ne parle ni des veines subitement gonflées,
ni des visages brièvement empourprés, ni des ombres troublantes qui viennent
jouer sur les corps et les vêtements des danseurs dans telle ou telle
guinguette : je vois ce que je vois, je peins ce que je vois.
Le mouvement était radical et frappait
très fort, très juste. Mais même à cette époque, il dépendait grandement de
raisonnements extrêmement précis, d'inventions dûment méditées comme par exemple
les Cathédrales ou les Nymphéas de Monet. Sensibilité et raisonnement étaient
indissociables et le demeurent.
La théorie sur le cerveau droit est
incontournable même si elle est discutable scientifiquement et artistiquement
parlant - car oblitérer le langage et le raisonnement est aussi impossible que
peu souhaitable passées les premières semaines d'apprentissage. Elle fournit une
méthode d'excellente qualité et bien contemporaine, mais manifestement, elle ne
peut que s'inscrire dans une démarche pédagogique plus vaste.
Réalité actuelle des enseignements non professionnels
Il est difficile de la décrire tant elle
présente de facettes. La tendance globale des cours "qui marchent" semble axée
sur trois éléments prégnants :
* une écoute
accrue de la sensibilité de l'élève. Un cours d'arts plastiques n'est pas une
leçon de solfège ou de mathématiques, cela semble de plus en plus compris.
*
la présentation et l'initiation à des techniques
plus variées, de manière plus détaillée que dans le passé, qui commencent à être
prises au sérieux par tous.
*
une demande de plus en plus importante et surtout
de plus en plus précise. Certains cours sont réellement désertés, d'autres
affichent complet. Une meilleure adaptation à la demande semble nécessaire.
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