Indirectement du latin caro, carnis, chair
par l'italien carnagione, carnation (selon l'Académie française)
Dans les arts picturaux (peinture,
dessin, émaux, sculpture, et même photo ou vidéo), la carnation n'est
autre que la représentation de la peau humaine.
C'est un art difficile, puissant, ancien et toujours
absolument contemporain. L'expressivité d'une oeuvre, son discours
pictural, dépend bien souvent du traitement des carnations, que ce soit
dans le nu, dans le portrait le plus pudique ou dans la fantasmagorie la
plus outrée.
Insistons un moment sur l'importance expressive majeure de la
représentation de la peau dans l'histoire de l'art puisque c'est la
représentation de notre apparence, c'est une voix, un discours pictural
par excellence.
Le traitement de ce sujet ne semble pas toujours à la hauteur de son
rang, de son importance. Cela peut susciter des polémiques. Il semble notamment absurde de présenter un cours d'anatomie
artistique sans évoquer les veines tant celles-ci pour ainsi dire nous
parlent. Et pourtant, même dans les meilleures écoles d'art, certains se contentent
d'évoquer mécaniquement os, muscles et tendons... un discours pédagogique
qui peut paraître éventuellement améliorable.
Une autre chose peut-être plus choquante est la "teinte
chair" ou "ocre de chair" de certains fabricants de peinture. De
quelle chair parle-t-on, de quelle couleur devrait être une "peau
standard" imaginaire alors que les
artistes depuis des millénaires travaillent à représenter l'épiderme dans une
infinité de nuances et de couleurs réelles ou inventées ? A
l'opposé, le tube de teinte chair est un rose
plus que banal : oxyde de
fer rouge et blanc de titane typiquement.
Prenons le temps
de contempler, dans la rue, la couleur de la peau des passants en Occident
à des latitudes moyennes. Elle est subtilement jaune et à peine rose
(statistiquement parlant). Rappelons pour donner un repère frappant que la
Joconde elle-même est jaune, non rose.
Les Asiatiques ne sont pas plus jaunes
que les Occidentaux, et ceux-ci pas plus roses ni blancs, les Amérindiens
pas plus rouges, soit dit en faisant abstraction du teint hâblé de
certains montagnards ou marins et d'une multitude de cas particuliers. Des
symbolismes ne devraient pas être pris pour des réalités.
L'épiderme
humain, sur tous
les continents, est un magnifique tissu opalescent imprégné de
mélanine noire en quantités diverses variant même sur la surface
de la peau d'une seule personne. Il est littéralement collé sur une autre couche
corporelle, le
derme (corps papillaire, chorion) puis l'hypoderme, sortes d'ensembles de cellules
lipidiques blanc-jaune traversés de nombreuses
petites artères rouges. Puis il y a les muscles et d'autres graisses et
tissus divers, soit chromatiquement du rouge, du jaune et du bleu
(veines). Cette série de couches forme une interface complexe et vivante :
la peau est un organe. C'est peut-être ce que Rembrandt pourrait nous inciter à nous
rappeler au travers d'un très célèbre tableau sans concessions
(ci-contre). En dessous de l'épiderme, qu'il s'agisse d'un bovin ou d'un
humain, il y a ça. Ce n'est
pas rose, c'est une complexité qui définit en partie l'apparence que veut
bien nous transmettre notre transparent épiderme.
Le prétendu rose de la peau est surtout d'un ordre symbolique, au mieux
en relation avec l'émoi, au pire avec des considérations
beaucoup moins poétiques, plutôt d'ordres politique ou idéologique,
signalétique, historique, social, etc. Sur un plan concret c'est tout
autre chose.
L'épaisseur de la peau humaine varierait à peu près du simple au triple
en fonction de la région corporelle. La peau féminine aurait en moyenne
une épaisseur légèrement supérieure (information non confirmée) qui
pourrait éventuellement expliquer une luminosité ou une noirceur (voire la
combinaison des deux et des iridescences)
qui semblent parfois aux frontières de l'irréel.
Face à une question récurrente, "comment réaliser une teinte chair", on
répondra que la couleur de la peau n'est de toute façon pas un en-soi. L'interaction entre la peau
du modèle, l'éclairage et la configuration du lieu donne une infinité de
couleurs. Cette infinité est le moteur et/ou l'agent de l'expressivité du
formidable travail des artistes depuis la nuit des temps.
Il n'y a pas d'ocre de chair ni de teinte chair, c'est un mirage.
Représenter la peau, fare la carnagione est un travail
artistique. Il n'existe pas de solution toute prête et la
peau est autant une merveille réelle qu'une source d'inspiration
particulièrement importante dans l'histoire de l'art. Une telle représentation nécessite une élaboration et s'inscrit dans une composition
chromatique qui elle-même s'inscrit dans une intention artistique. Il est
d'ailleurs également possible de jouer précisément sur la
symbolique des couleurs et même sur leurs variations sérielles comme le fit
Andy Warhol, produisant un tout autre discours pictural.
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