Quelle est la frontière d'un
atome ?
Question piège.
On peut répondre que ce n'est rien d'autre qu'une probabilité
ouverte sur l'infini (voir ci-dessous). Cette
probabilité se calcule,
mais de manière plus pragmatique, on considère généralement le rayon d'un
atome en fonction de son environnement, donc de ses liaisons avec les
autres atomes (lire Les liaisons entre atomes).
Les méthodes de calcul sont au moins aussi nombreuses que les types de
liaisons (à démultiplier par d'autres facteurs contextuels), de sorte que
le terme "rayon atomique" devrait toujours être accompagné
de précisions sur ladite méthode car utilisé seul, il continue à désigner
un concept né d'une théorie datant de 1913,
le modèle de Niels Bohr.
A l'époque, certains phénomènes constatés échappaient à la science. Par
exemple l'hydrogène chauffé s'avérait émettre plusieurs raies spectrales
(plusieurs "couleurs", en fait six séries de couleurs) alors que, ne
disposant que d'un électron, on pensait qu'il ne pouvait en émettre
qu'une.
Le physicien danois, pour expliquer ce phénomène ainsi que quelques
autres, conçut un modèle de l'atome inspiré du système solaire : une masse
centrale entourée de petites masses orbitant autour comme des planètes et
pouvant changer d'orbite. Ces changements d'orbites ("d'orbitales", le
terme a survécu, cf. le chapitre IV des
Dialogues) occasionnaient des émissions à différentes fréquences en
fonction des distances et des vitesses. Le physicien créa pour l'occasion des concepts parfaitement
abstraits : le rayon de Bohr et la vitesse de Bohr. Au cours des années
1920, ce modèle, conceptuellement pertinent à certains points de vue mais
erroné dans les faits, fut "supplanté" ou "dépassé" (si ces termes peuvent
convenir) par celui des niveaux d'énergie et par l'ensemble des apports de
la physique quantique encore toute fraîche.
Le rayon de Bohr ne correspond pas aux mesures constatées. Par rapport
au rayon de Van der Waals qui sera évoqué ci-dessous, l'écart est notable,
d'un facteur 2 ou 3 en moyenne. C'est dire combien sa valeur ne
correspond pas à une réalité factuelle. Elle
est représentative seulement dans une construction intellectuelle de tout
premier plan qui a sans doute contribué à l'avènement de la physique
quantique.
Dans cette physique nouvelle, tout est remis en
chantier. L'atome n'a pas
véritablement de frontière. Un électron
(ou aussi bien un nucléon, n'importe quel composant de l'atome et même
toute particule) peut se trouver n'importe où à un instant
donné, mais seulement plus probablement, statistiquement, à proximité
de son noyau habituel. C'est en quoi, comme dit en introduction, cette
frontière n'est qu'une probabilité et le rayon de Bohr, plus que jamais
une abstraction utile un temps mais devant céder la place à ces nouveaux concepts.
Le sens de la démarche de mesurer un atome n'a donc plus rien à voir
avec les constructions intellectuelles de 1913 que nombre de sites internet et de
publications diverses continuent malheureusement à donner pour référence, non sans une
certaine ironie involontaire (paresse ? conservatisme démesuré ?) puisque
l'auteur du modèle lui-même est devenu un tenant majeur du modèle des quantas - on évoquera à l'occasion son très célèbre dialogue avec Albert
Einstein [1] -, modèle toujours valable.
Dès lors, il va apparaître que, un atome n'ayant pas de frontière
totalement prévisible, c'est en présence d'autres atomes qu'un "rayon atomique"
peut s'avérer prendre valeur de frontière concrète.
L'atome est un peu comme un balle
en mousse : on peut le serrer ou le laisser s'étendre.
Parmi les rayons atomiques
concrètement mesurés aujourd'hui, on inventorie les rayons "liants" (rayon
covalent, rayon ionique) et les rayons "non-liants", ce qui ne veut
pas dire grand-chose dans la mesure où 1) un rayon ne lie rien du tout, ce
n'est qu'une
distance, 2) les rayons dits non-liants sont quand même associés à des
liaisons. Il s'agit dans ce dernier cas des
forces de Van der Waals, ou plutôt
d'une de ces forces (London), discrète et "tempérée" par le principe
d'exclusion de Pauli
(jamais deux particules dans le même état au même endroit et au même
moment).
La
spécificité de la méthode "via les forces de Van der Waals" est qu'elle permet de mesurer le rayon des
atomes dans le contexte d'une liaison extrêmement faible, la plus faible
peut-être dans le monde interatomique. Cela peut expliquer le terme "rayon non-liant", qui n'en
serait pas moins semble-t-il à la limite de l'abus de langage.
Ainsi, pour un seul atome, du plus petit au plus grand rayon, on
trouvera (dans les cas simples) :
1. (parfois 2.) le rayon ionique
2. (parfois 1.) le rayon covalent
3. le rayon de Van der Waals.
Reste qu'un atome n'est pas toujours sphérique et qu'il
existe des cas particuliers, y compris dans le cadre du rayon de Van der
Waals, quoique tout dépende de la manière d'en parler. Selon James Huheey et Ellen et Richard Keiter (Chimie
inorganique, De Boeck Université, Bruxelles, p. 291), "Dans XeF4
par exemple, il semble que le rayon de Van der Waals du xénon soit plus
proche de 170 pm [picomètres] que de la valeur admise de 220 pm obtenue à
partir du xénon solide. L'explication de ce phénomène est la réduction de
la taille du xénon due au déplacement de la densité électronique vers les
atomes de fluor, plus électronégatifs. En
outre, les charges partielles induites (Xeδ+,
Fδ-) peuvent créer une attraction entre
les atomes de xénon et de fluor et les rapprocher."
Cet écart pourrait s'expliquer par le fait que la mesure d'un
rayon dit "non-lié" ne prend vraiment son sens que dans un état non
solide, indépendant, donc si possible gazeux (lire passage in
Les phases de la matière).
Poursuivons. "Malgré cette variation des rayons de Van der Waals
avec l'environnement des atomes, on peut les utiliser avec un succès
raisonnable pour estimer les distances non-liantes" (ibidem).
On perçoit cependant la difficulté de l'entreprise. Rappelons au
passage que le fluor, pris ici comme exemple certainement pas fortuit, est
l'atome le plus électronégatif, le plus susceptible de susciter des
déformations, ce qui peut inciter à se préoccuper d'une manière générale du
delta lorsque l'on cherche à déterminer
le rayon d'atomes liés.
Ceci suggère d'ailleurs qu'utiliser le nuage électronique comme
référence n'est pas la seule possibilité pertinente pour cadastrer
l'atome. Le champ d'électronégativité ne s'arrête pas aux frontières d'un
nuage matériel au demeurant probabiliste. La mesure de l'électronégativité
induit aussi une indication de distance à la fois réelle et
immatérielle puisqu'il s'agit d'un champ. Elle n'est pas moins pertinente
qu'une autre a priori.
On pourrait utiliser une comparaison d'actualité en relation avec
des événements récents concernant la sonde Voyager II, un objet qui
atteint des distances extrêmes, mais qui reste en
contact avec nous. Quelles sont les frontières du système
solaire : le nuage d'Oort (comètes lointaines), le champ gravitationnel à
l'échelle galactique, l'environnement des vents interstellaires, la
luminosité du soleil ? Il y a plusieurs manières de voir qui dictent les
méthodes de mesure adaptées, sans quoi, comme l'écrit la NASA, il faut
chercher "the answer blowin' in the wind" (rechercher la réponse
qui souffle dans le vent, référence à Bob Dylan,
lien externe Nasa). Ne pas spécifier la méthode employée dans un
document évoquant un "rayon atomique" ne contribue qu'à la confusion
sur un sujet déjà difficile. Ce
n'est malheureusement pas rare.
Aussi, dans le tableau périodique des éléments
chimiques de ce site (lien), avons-nous spécifié
explicitement la méthode choisie. Nous avons considéré que le rayon dit de
Van der Waals se rapproche d'une image "intacte", "à part", de l'atome
alors que les autres le placent dans un contexte plus précis et plus
contraint par l'environnement extérieur.
Pour autant, il existe plusieurs manières de
calculer le rayon de Van des Waals et l'on trouvera des chiffres parfois
singulièrement éloignés selon les sources.
______
[1]
Une réplique très connue. Einstein reproche à la théorie des quantas son
indéterminisme, Bohr lui suggère plus de modestie : l'humain ne peut
savoir si l'indéterminé fait lui-même partie d'un processus causal. C'est
Aristote et son univers de desseins et de rôles contre Epicure (en fait
Lucrèce) et son clinamen propre à contrarier les destins et autres
trajectoires trop droites même pour les dieux.
Albert Einstein : Dieu ne
joue pas aux dés !
Niels Bohr : Qui
êtes-vous, Albert Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ?
Epicure n'était pas athée
et c'est ce qui autorise un rapprochement direct avec la réplique de Bohr,
une sorte de "que connaissez-vous de l'inconnaissable" toute proche des
conceptions du philosophe matérialiste concernant la divinité.
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