Art contemporain

article paru dans le journal Areopage, collectif Courant d'Art

par C. Olivier Bonvin, Artiste-peintre

 

exposition Versailles
Jeff Koons, Versailles 2008

La polémique suscitée par l'exposition des œuvres de Jeff Koons au château de Versailles (2008) relance le débat.
Depuis la fin des années 80 on a vu fleurir l'art pour tous. Les échoppes, jusque dans nos campagnes, se sont emplies de tubes de couleur, de pinceaux, de papier toilé, de chevalets et de toiles sur châssis. On en trouve même chez brico. Les halls des mairies ont vu leurs murs se recouvrir du fruit de l'engouement du public pour les beaux-arts. Au point que certaines galeries s'en plaignaient, estimant que la concurrence de ces expositions leur portait préjudice. Des cours de dessin ont éclos comme des champignons dans un rond de sorcières, ne méritant pas toujours le nom de « cours » et étant le plus souvent des ateliers. (Cours : lieu où l'on reçoit un enseignement, atelier : lieu où l'on se réunit pour peindre sur un thème). Le salon des indépendants est devenu un foutoir innommable et payant de surcroît, où il faut vraiment soulever les croûtes pour dénicher les perles. Puis on a vu apparaître les loueurs de murs et les marchands sont entrés dans le temple, proposant selon les lois du marché un « produit » dont la monotonie des séries n'égale que l'ennui de les regarder. Ce faisant, les caves de l'État s'emplissaient des œuvres de ceux qui pourraient être les génies de demain, peut-être de peur de les rater ?
Dans ce contexte, il est tout à fait naturel pour ne pas dire humain, voire normal, de ressentir une certaine confusion.


Qu'est-ce donc que l'art contemporain ?
Si l'on en croit le dictionnaire, contemporain veut dire : qui est du même temps, du temps actuel. Si on parle d'art contemporain on s'exprime donc au sujet de l'art exécuté par les artistes d'aujourd'hui. Un Picasso n'est pas de l'art contemporain. Un œuvre de Jeff Koons, oui.
Les Artistes de Courant D'Art sont tous des artistes qui font de l'art contemporain. Il n'y a pas d'artistes morts dans le collectif !


Par contre, les différentes formes que prennent leurs œuvres peut faire l'objet d'une classification. Et c'est là que l'expression « art contemporain » prête à confusion. L'expression « art contemporain » ne désigne pas une catégorie particulière d'expression artistique.

On trouve des termes comme : « abstrait », « abstraction lyrique », « art minimaliste », « art conceptuel », « art brut », « art plastique » etc. qui catégorisent la forme d'art. Cette catégorisation et les termes qu'elle utilise ne sont que des étiquettes permettant de raisonner. Comme nous allons le voir plus bas le raisonnement est dangereux pour l'art. L'Art n'a pas besoin d'explication ni d'étiquette. Il se ressent ou non, il vous touche ou vous ébranle, il évoque quelque chose pour vous qui vous replonge dans des mémoires lointaines ou vous projette dans ces espaces auxquels vous avez toujours rêvé.

Expliquer un tableau est un aveu de non-art ou une tentative de résoudre un divorce entre l’œuvre et son public. On pourrait alors entamer une discussion sur la responsabilité de l'artiste ? Dans une société où les valeurs ont été laminées au profit de la matérialité, l'ego manifesté dans l’œuvre peut-il compenser ce manque ? Est-il le dernier refuge de l'artiste, devenu grand incompris dans une société matérialiste ?
Pour comprendre ces différentes formes d'art je me réfère à Nicolas Wacker, professeur aux Beaux-Arts de Paris jusqu'en 81 et auteur de « La Peinture À Partir Du Matériau Brut » éditions Allia, que je vous encourage à lire.

Je cite :

«... Les Beaux-Arts ne peuvent pas inventer de règles. La règle se fait en toute liberté en créant l'œuvre. Le langage est un langage esthétique (il vient des sens, et s'adresse aux sens). Aborder une œuvre d'art par le biais de la raison signifie se priver de ce qu'une œuvre d'art peut donner dans son langage spécifique, et où on la dégrade en la traitant comme un phénomène et non comme une création toute particulière, qui se suffit à elle-même, étant le seul domaine donné à l'homme ou la liberté est possible.... Notre siècle, depuis les impressionnistes, s'est lancé dans l'analyse du langage pictural. On pose la question : qu'est-ce que la peinture ? En raisonnant, Malevitch a parcouru le chemin entre l'objet (monde réel visible) et son moyen d'expression esthétique (la peinture) pour épurer le langage, arriver à l'absolu : « le carré blanc sur une surface blanche »1. Marcel Duchamp, parcourant le chemin inverse, part des moyens d'expression, et puisque l'œuvre d'art est un choix de moyens, arrive à l'objet même, le met sur un socle, le débaptise, et lui donne un nom correspondant à une nouvelle signification, signification imaginaire. Malevitch et Duchamp font étape dans la pensée spéculative sur les arts plastiques. Ils resteront dans l'histoire plutôt comme curiosité du domaine des spéculations pseudo scientifiques. Tous deux cesseront de peindre. L'art créatif évoluera entre les deux pôles. » 1. Mat sur brillant.


 

Urinoir Marcel Duchamp
Marcel Duchamp :"Fontaine", 1917

Ainsi entre l'urinoir à Duchamp, qui est de l'art "ready-made"  et le carré blanc de Malevitch, tout est possible.

Et tout, ou presque, a été fait.

Même la Merda d'Artista  en 90 boîtes numérotées de Piero Manzoni, dont on a entendu parler il y a quelque temps (2015) au cours d'une vente chez Christie's, s'est vendue à plus de 200'000€ la boîte de 30 grammes! Pour l'anecdote, il avait mis en vente ses boîtes en 1961 à un prix équivalent à leur poids en or.

Merda d'artista Pier Manzoni
Piero Manzoni, "Merda d'artista" 1961

Non mais quelle rigolade, avouons-le!

Revenons à notre sujet. Et commençons par trier les expressions. Nous avons les termes « abstrait » et  « figuratif ».
Ce sont les termes les plus courants. C'est malheureux d'avoir inventé ces deux termes.
Ils introduisent un clivage, d'un côté les peintres abstraits et de l'autre les figuratifs nous obligeant automatiquement à aborder l'art par le biais de la raison.

La raison nous dit que l'art abstrait ne représente pas de choses connues et que l'art figuratif représente des choses connues. Si seulement ceux qui disent cela fréquentaient les musées ils sauraient à quel point certains peintres classiques peuvent être abstrait et inversement. Et comme de toute façon l'appréciation de l'art ne se fait pas par la raison mais bien par les sens et par l'esthétique, on voit tout de suite l'inutilité du débat. Il faut quand même savoir que la mise en œuvres d'une toile abstraite demande les mêmes compétences techniques que la réalisation d'une œuvre figurative. La composition, le jeu des formes et des lignes, le langage de la couleur, cette recherche sans fin de l'équilibre parfait des éléments de la composition préoccupe autant le peintre abstrait que le peintre figuratif. Que la toile ait été réalisée en 10 minutes d'inspiration ou en 100 heures de lutte acharnée, si le résultat touche nos sens et nous émeut la partie est gagnée. Alors, abstrait ou figuratif ?