Dali, 50 secrets magiques

 

Dali peintre excentrique. Dali le fou comme un commentaire sur la page Amazon de ce livre le laisse entendre.

Et bien Salvatore Dali n'était pas si fou que ça. Il était un excellent peintre qui connaissait son métier parfaitement, mais c'était aussi un très bon écrivain qui s'exprimait avec élégance.

Ce livre, 50 Secrets Magiques, est une bible pour qui sait le lire en comprenant que Dali est joueur et facétieux mais très sérieux. Il nous emmène dans sa poésie et sa façon très drôle de présenter les sujets et nous livre vraiment les 50 secrets du peintre.

Tout d'abord le livre commence ainsi:

A six ans je voulais être Napoléon — et je ne le fus pas.
A quinze ans je voulais être Dali et je le fus.

A vingt-cinq ans je voulais devenir le peintre le plus
sensationnel du monde et j'y suis arrivé.

A trente-cinq ans je voulais assurer ma vie par le succès et
j'y suis parvenu.

Maintenant à quarante-cinq ans je veux peindre un chef-
d'œuvre et sauver l'Art moderne du chaos et de la paresse.

J'y parviendrai! Ce livre est consacré à cette croisade et
je le dédie à tous les jeunes qui croient en la vraie peinture.

Dali signature

 

 

Dans son secret numéro 41 il nous donne le secret du médium à la guêpe. Il nous dit:

"Et voici la formule pour le médium à la guêpe de Dali: vous préparez le médium de base avec de l'huile d'œillette, de l'huile de noix et de la térébenthine rectifiée en parties égales. Pour cinq parts de ce mélange, vous ajoutez une part du mélange suivant: ambre jaune dilué dans de l'essence d'aspic dans laquelle des guêpes ont trempé. Pour préparer ce dernier, vous placez un petit entonnoir de papier paraffiné dans le goulot du flacon dans lequel vous désirez obtenir la mixture, en obstruant l'orifice d'écoulement de l'entonnoir par trois guêpes mortes dont les dards sont intacts. Vous versez alors dans l'entonnoir assez d'ambre dilué dans de l'essence d'aspic pour couvrir complètement les guêpes. Le liquide doit couler très lentement dans votre flacon, larme par larme.
Vous le mélangez ensuite, dans les proportions indiquées, à votre mélange d'essence et de térébenthine. Plus l'opération est effectuée lentement, meilleur est le résultat. Au lieu de verser directement votre solution d'ambre et d'essence d'aspic, il vaut mieux la laisser larmoyer d'une bouteille presque vide placée verticalement à l'envers sur votre entonnoir, le tout exposé aux rayons du soleil matinal pendant la saison de la canicule. Plutôt que de douter de l'efficacité de mon médium, je vous propose tout simplement d'en faire l'essai."

Évidemment à la lecture de cette recette on se dit bien qu'il nous promène un peu. Mais si on se laisse promener dans son univers créatif on se régale et on finira par découvrir la vérité:

"Voici maintenant l'histoire objective de cette découverte. J'avais vingt-deux ans et je peignais mon premier panier de pain pendant les mois de juin, juillet et août avec de l'huile d'œillette et de l'huile de noix mélangées, sans aucun vernis ni térébenthine. Pendant ces trois mois, j'ai laissé ce mélange sans y toucher, dans un godet de porcelaine blanche. La quantité était très petite et, chaque jour, elle devenait plus épaisse et plus visqueuse.
Tous les jours, le soleil tapait pendant plus d'une heure à travers ma fenêtre ouverte sur mon godet blanc. Un matin, je trouvai une grande guêpe noyée dedans. La couleur de l'huile brillant au soleil, mêlée aux raies jaunes et noires de la guêpe, me fascina tant que je la laissai dans mon médium. Dès ce moment, je remarquais une qualité que je n'avais jamais observé auparavant: une ductibilité de miel dans la fusion homogène de mes couleurs; les étaler devint un plaisir inexplicable en soi. J'attachai immédiatement une vertu superstitieuse à ma guêpe et pour rien au monde je n'aurai voulu la retirer de son bain d'huile; elle resta jusqu'à ce que le tableau soit fini et signé.

Néanmoins, habitué à ce genre de fixations fétichistes, je fus convaincu que ce plaisir était suggestif, de caractère délirant, et j'attribuai mes résultats satisfaisants à l'épaississement naturel de la petite quantité de médium utilisé et aussi à la chaleur exceptionnelle de l'été. Pourtant, je passai un hiver de cauchemar sans réussir à retrouver, avec mille combinaisons, cet état de béatitude dû à mon médium à la guêpe. L'été suivant, j'essayai les mêmes proportions et la même exposition quotidienne au soleil. Je peignis un sujet semblable: rien, rien, rien à faire! Je dus passer un second hiver de désespoir avant de céder à la tyrannie de ma chimère obsessionnelle car ma raison refusait de tremper une autre guêpe morte dans mes huiles. Mais, un dimanche, alors que je prenais le café (car tous les dimanches, chez mes parents, nous prenions un café avec un verre de chartreuse jaune), une autre grande guêpe vint se coller fortuitement au fond de mon petit verre. Je retournai le verre immédiatement, emprisonnant la guêpe, et courus à mon atelier où, ému, je la plongeai dans mon médium, goûtant pendant deux longues heures de rêvasserie la volupté néronienne de la voir agoniser. Et depuis que cette guêpe donna sa vie pour ma peinture, celle-ci fut sauvée de la sécheresse qui était son seul péché. Aujourd'hui, je me souviens encore de ce coefficient de viscosité divine — énigme de la matière organique, sur lequel j'écrirai un traité — et de la guêpe, descendant du ciel et se sacrifiant pour adoucir ma vie de peintre. Et le dard de cette guêpe fut déjà l'annonce de celui de l'amour de Gala-l'abeille, miel de ma vie d'homme."

 

Ce n'est qu'après l'avoir suivi dans ses méandres qu'il nous révèle la vraie raison de la guêpe:

 

Dali, secret 41
Salvatore Dali, secret 41

"J'arrivai à cette découverte : pendant les longues séances de peinture, l'œil a besoin de regarder de temps en temps un petit objet rayé, zébré ou léopardé. Si ces taches sont en contraste avec la coloration de votre tableau, leur vision intermittente vous aidera à revaloriser, pour ainsi dire, les rapports chromatiques de ce que vous êtes en train de peindre. A cause de l'habitude et de l'absence d'un objet de comparaison avec lequel vous puissiez, de temps à autre, frapper votre rétine, vous finirez — et j'exagère à peine — par peindre à l'aveugle, c'est-à-dire sans une conscience coloristique constante qui, à tout moment, communique à votre œil la saveur — sel, poivre et douceur — de chaque couleur. Soyez donc convaincu que, de même que beaucoup de gens ne savent pas s'ils rêvent en noir ou en couleurs, les peintres, très souvent, et vous même, tout en étalant toutes sortes de couleurs sur la toile, ne les voyez plus parce que vos longues séances finissent par émousser dangereusement votre œuvre et à la rendre fadasse."